C'est un film étrange, pendant le visionnage duquel on ne cesse de se demander comment il a été fait : comment cette intimité a été offerte, comment cette fictionnalisation a été possible, et quelle est la place du cinéaste là-dedans. Pourquoi il a été fait aussi : qu'est-ce qu'il raconte ? La très étrange rupture qui intervient aux deux tiers du film et nous fait suivre, après une épopée de la drogue ahurissante, quelques hommes en train de se préparer à une guerre dont on ne comprend pas exactement les ressorts, achève de nous perdre. C'est pourtant "the other side", l'autre côté, l'envers d'un décor : la dépendance et l'indépendance (ces larmes qui surviennent à l'évocation de l'independence day), deux modes d'existence, deux possibilités pour vivre dans le Sud-Est des Etats-Unis.
On lit de Minervini qu'il est italien, qu'il est devenu consultant financier aux Etats-Unis, qu'il a tout arrêté après le 11 septembre, repris des études, imaginé de devenir photo-reporter. Et finalement ce film : un lien se tisse entre la succincte biographie du cinéaste et celles que The Other Side dépeint avec force. On ne peut lui reprocher son incohérence, puisqu'elle est le sujet même de son questionnement : qu'est-ce qui ne coïncide pas ? (Le problème étant, à mon sens, qu'on ne peut s'empêcher de comparer, d'un côté les apprentis soldats, de l'autre les drogués.)
Ce qui relie ces deux temps dists du film, c'est avant tout une histoire de charisme. Qu'il s'agisse de Mark et Lisa, le couple de toxicos, ou du sergent-instructeur, ils brûlent l'écran. Minervini les érotise à chaque instant. Ses cadres sont autant d'étreintes auxquelles ils se dérobent. Le cinéma-vérité à l'oeuvre ici ne donne finalement que la vérité des corps, celle des visages. On retiendra surtout celui de Mark, dostoïevskien, que Minervini filme d'abord nu sur une route de Louisiane, puis habité par des puissances maléfiques au fond d'un mobile-home où son histoire d'amour prend fin.