Je ne suis pas experte mais j’aime bien les films de Tsui Hark, ce mélange d’exubérance, de flamboyance et de maîtrise technique qui donne à ses films une énergie unique. Detective Dee, ou Seven Swords ont cette capacité à mêler grand spectacle et sens du détail, avec une vraie attention aux décors, aux costumes et aux mouvements de caméra. J’étais donc curieuse de voir The Legend of the Condor Heroes: The Great Hero, surtout qu’on avait pas beaucoup de possibilité de le voir au cinéma.
Le film s’ancre dans une tradition mythologique et historique chinoise dense. On suit Guo Jing, un jeune homme élevé par les Mongols, partagé entre sa loyauté envers ses proches, son amour pour Huang Rong et la réalité politique de son époque, avec en toile de fond la lutte entre les Jin, les Song et les Mongols. Une grande fresque épique, traversée par des affrontements martiaux et des histoires d’amour. Sur le papier, tout y est.
Mais à l’écran, c’est une déception. Le premier problème est visuel. Tsui Hark excelle quand il filme en prise de vue réelle : ses plans rapprochés, ses mouvements de caméra virtuoses et la gestion de l’espace donnent une vraie ampleur aux scènes d’action. Là où ça coince, c’est dès que le numérique prend trop de place. La grande bataille d’introduction souffre d’effets spéciaux très cheap. Les soldats qui s’affrontent semblent flotter dans le vide, sans poids ni impact ; comme beaucoup de gros films aujourd’hui, on a rogné sur la qualité de la CGI. C’est d’autant plus frustrant que Tsui Hark a prouvé qu’il pouvait faire bien mieux.
Le scénario, lui, tient debout pendant un bon deux tiers du film. Il pose bien les personnages, prend même une direction inattendue en mettant en avant le mongol comme langue principale (chose rare pour un blockbuster chinois), et développe des intrigues politiques et personnelles relativement solides. Puis arrive le dernier acte… Guo Jing devient soudainement ce héros solitaire, seul rempart contre l’envahisseur mongol, dans une mise en scène de roman national qui a tout du virage scénaristique de dernière minute. Ce n’est pas la première fois qu’un pays utilise son cinéma pour magnifier ses mythes fondateurs (et la Chine n’a évidemment pas l’exclusivité du procédé), mais ici, c’est fait de manière tellement forcée qu’on dirait une scène ajoutée à la truelle. Ça casse une dynamique qui, jusque-là, fonctionnait sans être révolutionnaire.
Autre point frustrant : l’introduction des cinq grands maîtres des arts martiaux. Tout le film les tease comme une force incroyable, une quête presque mystique… pour, au final, ne rien en faire. Un pur effet d’annonce, qui ret celui de l’introduction du clan des mendiants, qui ressemble davantage à du fan-service maladroit qu’à un réel élément narratif. Peut-être que Tsui Hark envisage une suite et qu’il garde ces figures en réserve, mais en l’état, c’est un manque flagrant de payoff pour le spectateur. C’est d’autant dommageable que ce temps perdu sur ces annonces aurait pu être mieux employé sur les personnages existants, notamment pour rentre les interactions plus intenses. Ici, on manque d’émotions aussi bien dans le triangle amoureux que dans les intrigues de palais.
Heureusement, il reste un certain nombre d’éléments qui sauvent l’expérience. L’attention portée aux décors et aux costumes est remarquable : la reconstitution du camp mongol, les tenues de la princesse Huajun ou les armures guerrières participent à l’immersion et donnent une texture tangible à l’univers. De même, malgré un combat final un peu trop étiré, le rythme du film fonctionne bien, porté par la maîtrise de Tsui Hark dans la gestion des séquences d’action et son sens du spectacle. Il y a aussi ces petites touches d’humour bien placées, qui allègent intelligemment le récit et rappellent que le réalisateur sait parfaitement doser ses effets.
Au final, The Legend of the Condor Heroes: The Great Hero est une œuvre en demi-teinte, un peu fade. Il y a du bon mais aussi des écueils qui l’empêchent d’atteindre le niveau qu’on pouvait espérer. Est-ce qu’une suite viendra corriger ces défauts ? Peut-être. Est-ce que j’irais la voir si elle sort en ? Surement. Parce qu’au-delà de ses ratés, le matériau du film a du potentiel et j’ose espérer que Tsui Hark en a encore sous le capot.