The Gorge confirme brillamment la trajectoire verticale du cinéma de Scott Derrickson, tout entière vouée au recensement des signes de vies cachées dans les tréfonds de l’Histoire et de l’âme humaine, qu’il mêle sans cesse : la tour de surveillance remplace le grenier et la cave, motifs chers à l’épouvante, les apparitions spectrales de cavaliers offrent une déclinaison apocalyptique aux possessions diverses qui animent des corps, le câble tiré entre les deux miradors matérialise le rétablissement de la communication comme le symbolisaient l’appareil de projection (Sinister, 2012) ou le téléphone (The Black Phone, 2021).
Nous apprécions d’abord la cohérence d’une œuvre qui s’inscrit dans une filmographie tout à la fois unie et hétéroclite, en ce que la mise en scène n’obéit à aucune signature mais s’ajuste au récit raconté ; c’est ensuite l’intelligence du scénario et l’élégance de la réalisation que nous saluons, créant une harmonie synonyme de respect pour un spectateur que l’on prend au sérieux et qui trouve une place particulière, celle d’un confident partageant la relation naissante entre deux inconnus : le dialogue par messages interposés affirme vite une tonalité romantique, référence évidente à Love Actually (Richard Curtis, 2003), d’autant plus surprenante qu’elle cohabite avec un discours politique sur les frontières et la surveillance mutant peu à peu en cauchemar horrifique. En effet, l’espace sous-terrain compose une galerie de créatures empruntées à l’imaginaire de H. P. Lovecraft où chacune relève de la fusion des ADN entre humains, végétaux et animaux ; en résulte une impression poisseuse de dérèglement organique que la mise en scène place sous des filtres de couleurs et décline suivant des intentions belliqueuses, spectaculaires ou poétique, T.S. Eliot à l’appui (avec son poème « The Hollow Men »).
Scott Derrickson signe un divertissement soigné et pertinent, élabore un film oxymorique qui unit les deux gardes, rapproche les contraires pour mieux dessiner les contours d’un ailleurs où tout recommencer comme Baudelaire invitait son lecteur, par le biais d’une adresse à la femme aimée, à « Songe[r] à la douceur / D’aller là-bas vivre ensemble ! » (« L’invitation au voyage » dans Les Fleurs du Mal, 1857). Une importante et réjouissante réussite.