Certaines œuvres ne se contentent pas de raconter une histoire : elles frappent, remuent, laissent une trace indélébile. The Act of Killing, signé par Joshua Oppenheimer, Anonymous et Christine Cynn, est de ces rares films qui, bien au-delà de l’écran, s’imposent dans la conscience du spectateur. Avec une note personnelle de 9,5/10, je veux rendre hommage à cette œuvre aussi magistrale qu'insoutenable.
Dès les premières images, j'ai ressenti un malaise profond, un vertige qui ne m’a pas quitté. Voir ces anciens bourreaux rejouer, avec fierté, les scènes de leurs propres atrocités est une expérience presque irréelle. Pourtant, sous l'absurdité glaçante de ces reconstitutions, émerge une vérité humaine terrifiante : la capacité de l'esprit humain à tordre la mémoire, à se construire des légendes pour survivre à l’horreur.
La force de The Act of Killing réside justement dans cette approche audacieuse. Plutôt que de confronter directement ses sujets, le film leur tend un miroir et les laisse, peu à peu, révéler l'indicible. La transformation d’Anwar Congo est bouleversante : derrière l’arrogance initiale, on voit apparaître, comme par fissures successives, la douleur, la culpabilité et finalement la conscience nue. La scène finale, que je n'oublierai jamais, m’a saisie d’une émotion brute, presque physique.
L’écriture visuelle est d'une maîtrise impressionnante : chaque plan, chaque silence, chaque sourire figé est chargé de sens. L'esthétique du film, parfois étrange, presque onirique, accentue encore l'irréalité de ce que l’on voit. Ce contraste violent entre l’atrocité des faits et la théâtralité kitsch de leur mise en scène agit comme une lame de fond, lente mais inarrêtable.
Certains pourront estimer que le film s’étire, que certaines séquences paraissent redondantes. Pour ma part, ces répétitions m'ont semblé essentielles, comme une spirale obsédante qui nous enferme dans la même logique que celle des personnages : l'impossibilité de tourner la page, l'impossibilité d'effacer.
En sortant de The Act of Killing, je n’étais plus tout à fait la même personne. Peu de films, dans ma vie de spectateur, m’ont autant bouleversé. Ce n’est pas seulement un documentaire : c’est une plongée dans l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus sombre, mais aussi, paradoxalement, de plus vulnérable. Une œuvre d'une nécessité rare, dont la violence intérieure ne peut — et ne doit — laisser personne indemne.