On peut - on devrait, même - se rappeler la célèbre phrase de Walter Benjamin à la vision de Tardes de Soledad : "Tout document de culture constitue dans le même temps un document de barbarie". Dernier long métrage en date du cinéaste Albert Serra Tardes de Soledad nous plonge, nous immerge "dans le chou" des arènes espagnoles sur un peu plus de deux heures aussi fascinantes que pour le moins éprouvantes. En collant au plus près de l'activité du toréro Andres Roca Rey sur une poignée de corridas débarrassées de toute forme de commentaire ( absence de voix-off explicative ou simplement subjective, invisibilité totale du dispositif et du réalisateur... ) Albert Serra évite le positionnement critique consistant à juger son Sujet ( La tauromachie est-elle une pratique culturelle éthique, ou pas ? ) pour mieux laisser le spectateur se débrouiller avec sa morale et son seuil de tolérance. En résulte un documentaire témoignant d'une assez belle intelligence de regard, aussi ambigu et dérangeant que techniquement édifiant.
Entre volonté immersive et économie de moyens Tardes de Soledad constitue un objet posant littéralement "question(s)", montrant tout de même une violence aussi vraie que réelle usée sur les victimes non consentantes des corridas orchestrées par l'Homme : les taureaux. On assiste alors à une mise en scène (mise à mort, même) en direct d'un sadisme entièrement anthropocentrique, système de torture où la neutralisation de nos amis les bêtes à cornes va de paire avec un virilisme altièrement affiché par les toréros ( Roca Rey en tête, mais pas seulement...).
Naturellement tout le folklore de ladite pratique se voit méticuleusement dépeint par Albert Serra ( la montera, la muleta, et cetera...), dans un décorum pas si éloigné de celui d'un film aussi beau que majeur que le méconnu Moment de Vérité réalisé par sco Rosi au mitan des années 1960. Fortement contestée par tout un pan de la pensée antispéciste et pourtant encore aujourd'hui toujours autorisée voire encouragée par la foule hispanique la tauromachie est ici dépeinte sans ambages ni distanciation timorée : en découle un documentaire mouillant sa chemise sans nous prendre en otage intellectuel dans le même mouvement de brillance contenue ; c'est à voir.