Il ne s’agit pas ici de défendre ou de dénoncer la corrida, ce n’est ni la question, ni la volonté de Serra. C’est un film comme on en voit tous les 10 ans.
La corrida est filmée comme on ne l’a jamais vue. Le spectateur est lâché dans l’arène, avec le toréador, le taureau, et la brutalité qui s’en suit. Cette brutalité est montrée de la manière la plus crue qui soit. En refusant tout ornement tels que le public et le show, Serra montre la corrida dans on aspect le plus primaire, sans les artifices autours souhaitant esthétiser cette tradition. Des arènes boueuses aux arènes dorées, il arrache la corrida à son statut de tradition culturelle pour la réduire à sa vérité première. On ne se concentre que sur le combat. Les plans sont exclusivement rapprochés, pour être au plus près des combattants, les voir, ressentir l’agonie, le sang, la douleur du taureau et l’animosité qui se dégage de Andrés Roca Rey. Les rôles sont inversés, la bête se veut plus humanisée que l’homme. La violence n’est pas esthétisée, mais elle est exhibée dans sa barbarerie organique.
Le film est uniquement concentré sur Roca Rey, le toréador le plus en vogue du moment. De la voiture aux loges, des coulisses à l’arène, le film déploie une cartographie de l’enfermement. C’est cet aspect film-documentaire qui donne tout l’intérêt du film. Les dialogues à sens unique entre son équipe et Roca Rey sont tous plus fous les uns que les autres. L’encensement, la mise en avant du courage de notre toréador vont jusqu’à l’absurde. Rey, bien que vainqueur de ses combats, semble toujours hanté par ce qui se e dans l’arène. Ses tics, ses prières chuchotées, ses silences de possédé : tout trahit un homme qui, derrière la mascarade du courage, pressent l’absurdité de son rôle.
De la scène d’ouverture où l’on se retrouvera pour l’unique fois seul à seul avec un taureau, jusqu’aux combats à l’issue inévitable. L’agonie est montrée de pleine face. La violence n’a que peut de fois autant été banalisée.
Tardes de Soledad est un choc qui laisse pantelant. À travers Roca Rey, Albert Serra ne célèbre ni ne juge. Il constate, avec une lucidité glaçante, que la corrida est le dernier mystère où l’homme, pour se sentir vivant, doit danser avec la mort.Bannissons la corrida.