La notion aux contours les plus flous et à la géométrie la plus variable est sans doute celle du con.
On pourrait se contenter, pour donner une idée de la complexité du concept, de reprendre le dicton selon lequel on est toujours le con de quelqu'un. Ceci est déjà essentiel pour commencer à défricher le dossier, mais cela ne suffit évidemment pas à circonscrire le périmètre diffus et protéiforme de la définition. On peut soi-même constituer un excellent sujet d'étude: selon le moment de la journée, la situation ou l'interlocuteur, on se retrouve à incarner une des milles et unes facettes du thème, qui est vaste comme le monde, vertigineux comme l'histoire, et prometteur comme l'avenir.
Pour autant, quelques critères relativement objectifs permettent de s'avancer sur le sujet sans prendre trop de risques. Des signes universels existent. Parmi eux, prenez le cas du type qui intervient dans une conversation à laquelle personne ne l'avait formellement convié pour asséner une théorie qui n'a que très peu de rapport avec le sujet jusque là débattu. Inutile de préciser que la dite-théorie est au mieux douteuse, sinon complètement foireuse, et peut être réfutée avec deux arguments imparables et trois neurones correctement utilisés, éléments dont est parfaitement dépourvu votre pauvre débatteur. Décontenancé, vous n'avez d'autres parades que conclure la tirade du malheureux par un lapidaire "oui… et alors ?"
Et ben c'est exactement la question qui s'est imposée à moi à la fin de Sully.
Entendons-nous bien: elle peut se poser sur la grande majorité de la production cinématographique de notre époque (et encore plus si on se concentre sur la partie américaine de cette dernière). Sauf qu'ici, le choix de mettre en scène ce fait divers récent, certes extraordinaire, mais dont l'illustration aurait pu se contenter de 10 minutes de métrage, impose le questionnement. L'enrobage ne peut s'expliquer que de deux façons: un remplissage éhonté, ou un message un poil frelaté.
Et comme aucune de ces deux hypothèses ne s'impose avec évidence, on en revient naturellement à la question de départ. Oui, et alors ?
En aucun cas, je ne veux dire à travers tout ceci que le vieil ami Clint est un con.
Par contre, qu'il y joue parfois un peu, on peut se poser légitimement la question.
S'il s'agit de dénoncer les compagnies d'assurances qui n'hésitent pas à ref à un héros de profiter de son tout récent statut, le propos est un peu court (et, disons-le, un peu convenu).
S'il s'agit de se questionner sur la notion même du héros, et la façon dont il est projeté dans l'enfer de la notoriété moderne, c'est un peu décevant.
S'il s'agit de monter en épingle l'émotion légitime générée par une décision à ce point pénétrée de savoir-faire et d'instinct, pour le coup, le procédé est étiré jusqu'à la corde et les extraits du générique final ne seraient alors pas loin d'être putassiers.
Si c'est un petit mélange de tout ça, est-ce que cela mériterait sincèrement une place honorable dans la filmographie de celui qui fût, il y a deux ou trois décennies, un réalisateur important ?
Voilà au moins une question dont la réponse ne souffre aucun débat.