Show must go home

Le grand bouleversement qui a terrassé l'industrie du divertissement, au cours de ces 30 dernières années, tient en deux points. La fin d'une certaine possibilité d'émerveillement serait presque anecdotique si le plus grave ne se nichait pas ailleurs: jusque dans les années 80, on parvenait raconter de chouettes histoires qui comportaient parfois de chouettes personnages. Aujourd'hui de pauvres tentatives de recycler des personnages à la coolitude affirmée sont incapables d'exister cinématographiquement par incapacité absolue et définitive de raconter une simple histoire autour d'eux.
Et c'est même sans doute pire que ça: les souvent fort sympathiques histoires d’antan étaient justement presque toujours très agréables précisément parce que les personnages qui la peuplaient possédaient une certaine épaisseur. Leurs motivations, leurs doutes, leurs espoirs habitaient et éclairaient la trame du récit.
C'est exactement cet aspect que les entertainers des années 2000 et plus encore des années 2010 ne savent plus faire.


Une réplique illustre parfaitement la faillite des ouvriers de cette usine à rêves faisandés qu'est devenue Hollywood, en matière de storytelling. Les membres de la suicide Squad se retrouvent accoudés à un comptoir pour échanger quelques platitudes qui ne feront pas avancer le propos d'un iota. Une fois que Harley Quinn a sorti sa vanne réglementaire (comme à chaque réplique, en fait), le type manieur de boomerangs (à peine plus intéressant que le lanceur de fourchettes des Mystery Men) lance un "pourquoi faut-il qu'à chaque fois que tu prends la parole, il faut que…" Alors que les types cohabitent depuis à peu près trois heures, à tout casser. On nous vend une espèce de complicité absolument inexistante entre les personnages, en espérant que cette même complicité supposée entre le spectateur et le film projeté suffira à faire avaler à ces derniers toutes les couleuvres d'un scénario inconsistant.


DC (is for deceiving)


Pendant plus de la moitié du film, on se demande comment et pourquoi une telle équipe pourrait exister, et ce qu'elle cherche finalement à faire. Car s'il n'y a pas d'histoire, de personnages intéressants ou de tension dramatique, c'est que la partie se joue ailleurs.
Hollywood est devenu un triste cirque. Un cirque pris au moment où ce dernier perdait peu à peu sa capacité à surprendre et fasciner (déé par de nouveaux divertissement comme le cinéma, tout comme aujourd'hui le cinéma est de plus en plus souvent pris de court par l'univers du jeu vidéo), quand il a commencé à rameuter sa clientèle sans craindre d'utiliser les artifices les plus douteux.
Un grand barnum bordélique dont le clou du spectacle est une recherche vaine de produire du cool triste.


Chaque scène est accompagnée d'un best of musical sans imagination, chaque réplique tente d'égaler le niveau de Tony Stark (dire si on ne vise pas bien haut) et l'ensemble ne finit que par singer la mécanique Marvel dans la mise en place d'un univers cinématique pris de vitesse, qui ne peut ravir qu'une partie de plus en plus ténue d'une base fan de comics de plus en désabusée, si j'en juge les nombreuses réactions entendues à la fin de cette avant-première, pleine à craquer, qui proposait au moins une V.O. salutaire pour sauver le métrage du pire.


Y a Batman, y a une scène post générique, y a deux trois moments vaguement réussis, mais quelque chose, décidément ne prend plus: au bout du compte, s'il reste dans la salle quelques spectateurs pour rire devant un homme-lézard matant des clips de rap lascifs, le pire est sans doute que la plupart d'entre nous se foutait complètement de tous ces ingrédients mal agglomérés.
Le spectacle tourne à vide.


Show must go home.

3
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Burning down the house

Créée

le 3 août 2016

Critique lue 6K fois

217 j'aime

131 commentaires

guyness

Écrit par

Critique lue 6K fois

217
131

D'autres avis sur Suicide Squad

Show must go home

Le grand bouleversement qui a terrassé l'industrie du divertissement, au cours de ces 30 dernières années, tient en deux points. La fin d'une certaine possibilité d'émerveillement serait presque...

Par

le 3 août 2016

217 j'aime

131

Sabotage

« Fuck Marvel » criait David Ayer durant la vaste promotion de Suicide Squad. Ironiquement, c’est à se demander si le réalisateur a réellement vu la gueule de son film. On a beau vouloir...

Par

le 4 août 2016

205 j'aime

23

Eh ! Ma Harley, elle est cotée à l'A.R.G.U.S. ?

Pendant les deux tiers de ce Suicide Squad, on se surprend à penser que, l'un dans l'autre, DC donne l'impression de tenir pas trop mal la barre de son univers partagé et propose un spectacle, même...

le 3 août 2016

172 j'aime

52

Du même critique

Quentin, talent finaud

Tarantino est un cinéphile énigmatique. Considéré pour son amour du cinéma bis (ou de genre), le garçon se révèle être, au détours d'interviews dignes de ce nom, un véritable boulimique de tous les...

Par

le 17 janv. 2013

344 j'aime

51

Classe de neige

Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diff son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme...

Par

le 31 déc. 2015

319 j'aime

43

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

Par

le 12 nov. 2014

300 j'aime

141