Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Spring Breakers était un objet problématique avant même d’être tourné.
Soit un chantre de la contre culture, la hype de l’underground, qui s’attaque à l’Everest de la beaufitude, l’événement annuel qui vaut à la société américaine ce que les orgies et les jeux du cirque disaient de l’empire romain, peu avant sa décadence. Jusque-là, le film à charge se profile sans problème.
Mais Korine y injecte des créatures Disney qu’il va prendre un malin plaisir à salir, un Franco tout droit sorti du carnaval des gangstas, et s’en va en promo laisser entendre que va y avoir du trash.
Dès lors, deux façons de voir le film s’offrent à nous.
1. Film d’une ambigüité sans pareille, qui fait coexister une réalité obscène présentée comme l’Eden par des écervelées prêtes à tout pour y rester à vie et les moyens d’y parvenir. Le prix à payer, celui de la violence et de la criminalité, censé montrer le revers de la médaille et faire se bruler les ailes aux jouvencelles, y est présenté au contraire comme une composante essentielle de cette nouvelle vie à laquelle elles aspirent.
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !
(Baudelaire, Le Voyage, ultime strophe des Fleurs du Mal, 1857)
De ce point de vue, la débauche de couleurs, de hurlements, de fêtes orgiaques pourrait prendre son sens : nous sommes seuls à les considérer comme obscènes.
Plus le film avance, plus les éléments les moins susceptibles de compromissions sont évacués : la fragile chrétienne, la blessée par balles. Reste les véritables warriors, amazones 2.0 qui deviennent des créatures de films de Rodriguez et dansent sur de Britney Spears avec cagoules roses et fusils à pompe. Le fantasme est poussé à l’extrême, et nos petites Tonettes Montana, invincibles parce que sexy, maitresses du monde, estiment avec sagesse que le rite d’initiation est un succès et s’en vont retrouver le monde réel, fortes de leur « expérience ».
2. Film d’une prétention très problématique, fasciné par ce qu’il montre et produisant un objet pop corn sans réel propos. Tout y e, la drogue, le sexe, l’alcool, mais à l’exception de la scène d’ouverture, vraiment obscène, dans laquelle ne figurent pas les protagonistes, on a davantage le sentiment d’être conviés à un clip vaguement trash et d’une artificialité rebutante. Les gars sont très tolérants, quand même, et le problème du viol ou des overdoses, des gueules de bois, de la sexualité, tout simplement, est évacué. Korine joue au flirt continu, piscine et bikini, je tease mais je vais pas plus loin. Loin de moi l’idée d’en exiger davantage, mais qu’on ne vienne pas nous faire le coup du film générationnel sans concession, de l’envers du décor, tout ça.
Autre problème, le didactisme d’une lourdeur à pleurer : on aimerait consommer autant que les personnages pour être en phase avec elles : voix off continue, répétitions ad nauseam sans aucun sens, cut up et anticipations sans propos, effets sonores pathétique (les transitions entre les scènes accompagnées d’un coup de feu : AU SECOURS !).
Les demoiselles affirment dès le départ qu’il ne faut pas avoir peur, que c’est « comme dans un film ou dans un jeu vidéo », et imitent le flingue avec leur main sur tout le monde, y compris elles-mêmes.
D’accord. C’est un film, mauvais, d’autant plus mauvais qu’il est prétentieux et de mauvaise foi.
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