83 ans et toutes ses dents ! Enfin celles du mordant cinématographique, les autres on sait pas.
Avec Sorry, we missed you, Ken Loach et son scénariste Paul Laverty poursuivent leur dénonciation sociale de notre Joli Nouveau Monde et s’attaquent cette fois à l’ubérisation qui consiste à faire de l’employé, l’acteur de sa propre exploitation, aboutissement raffiné de l’art capitaliste post-néo-libéral.
Tout à fait dans la même veine que Daniel Blake, Ken Loach met en scène une famille de gens très ordinaires. Le père se fait embaucher (on verra que ce n’est pas le mot d’ailleurs) comme livreur dans un dépôt, maillon de cette fameuse chaîne logistique dite du dernier kilomètre.
Bref, il est livreur pour Amazon, Apple, Zara et bien d’autres.
Comme dans les films précédents, la machine à broyer est en route et n’a jamais été aussi efficace : comme tant d’autres, la famille de Ricky et Abby ne s’en sortira pas indemne.
C’est sans doute le film le plus dur que l’on ait vu de Ken Loach (et peut-être vu tout court) : aucun effet cinématographique dans le scénario ou la mise en scène, c’est du reportage in vivo, sans violence autre que sociale, sans revendication autre que la preuve en images.
Ce style brut, anti-cinéma pourrait-on dire, ne plait pas à tout le monde mais c’est justement ce qui fait la force impitoyable d’une démonstration qui dérange beaucoup plus qu’elle n’indigne : un véritable documentaire (un peu à la façon du Roubaix de Desplechin).
Même pour la scène finale (parfaitement réussie), le cinéaste ne laisse aucune échappatoire au spectateur qui avait commencer à imaginer une fin mélodramatique, allez, du cinéma quoi. Non.
Envoyez le générique : ouf, ça fait du bien quand ça s’arrête, c’est inable.
On sort de la salle estomaqué, en espérant pouvoir bien vite refermer les yeux sur la face cachée de notre Joli Nouveau Monde.
Ken Loach cherche à éveiller nos consciences mais le veut-on vraiment ?