Sinners
6.8
Sinners

Film de Ryan Coogler (2025)

Sinners par Spectateur-Lambda

Ceux qui parmi vous me font l'amitié et l'honneur de suivre mes chroniques savent à quel point je suis attaché à la figure et à la mythologie du vampire, plus qu'à aucune autre créature fantastique ou horrifique. Dès lors vous imaginiez bien qu'à un moment j'allais parler de ce film. Un film que j'ai beaucoup aimé en dépit de quelques faiblesses, dont une majeure que je vais évacuer immédiatement, des soucis d'écriture qui révèlent des incohérences scénaristiques qui le pénalisent. Les deux plus flagrantes étant qu'on est face à des vampires qui ne peuvent pas rentrer dans un lieu sans y avoir été au préalable invités. Une spécificité qui va permettre des scènes entre tension et humour rondement menées mais qui interroge quand à plusieurs reprises alors qu'un vampire est à l'intérieur et qu'il pourrait laisser exploser son animalité, sans autres raisons que de permettre au film de se poursuivre, il sort. Il y a aussi la caractérisation des jumeaux qui souffre de cette écriture qui aurait méritée un petit coup de polish, alors que l'un est davantage porté sur la violence brute et l'autre présenté comme plus dans la diplomatie et l'intellectualisation pour régler les conflits, un moment leurs deux personnalités s'entremêlent voire s'échangent, là encore sans que cela ne soit justifié, on a du coup non pas deux personnages miroirs, mais l'expression d'une bipolarité duale qui remet en cause l'intérêt même d'avoir des jumeaux.


En dehors de ces soucis le reste est de très bonne exécution, à commencer par l'idée maîtresse qui est celle de situer l'action au Mississippi dans les années 30, le Mississippi état esclavagiste et puis ségrégationniste où dans les années 30 qu'un club puisse être ouvert par des noirs pour des noirs restait une idée à la portée politique évidente. L'ombre du "klan" plane et quand la confrontation avec la horde vampirique survient, la symbolique est plus qu'évidente. Mais derrière ce commentaire qui quelque part était attendu sur les rapports conflictuels entre les populations noires et les blancs qui émaillent l'histoire américaine et auquel le film propose un point de vue sinon original en tout cas réfléchi et assumé.

Une bande d'adolescents inables, de ceux qui allument leurs putains d'écrans de portables durant la séance, commentait en sortant que c'était un film de gauchos (pas l'équivalent argentin du cowboy) parce que les blancs y sont tous méchants et les noirs tous gentils, à deux doigts de sortir le mot qui disqualifie d'emblée la possibilité d'un échange: "woke". Bon peut-être que s'ils avaient été plus préoccupés par le film que par leurs "storys insta" ils se seraient aperçus que dans les deux camps on trouvait des noirs, des blancs et même des personnages issus d'autres ethnies, mais ons.


Derrière ce premier commentaire, j'ai aussi vu, et à bien y réfléchir j'en viens presque à considérer qu'il s'agit du point névralgique du film et de son propos, une réflexion sur l'appropriation culturelle. Une idée qui se matérialise dans deux séquences musicales d'anthologies devant lesquelles j'ai pris énormément de plaisir avant même d'y apporter une analyse. La première qui à partir de l'exécution d'un blues originel va convoquer aussi bien les ancêtres africains que les héritiers modernes, qui va en quelques minutes retracer l'arbre généalogique des musiques modernes qui toutes ont un lien avec l'africanisme, que l'on parle de rythmes, de sons, de thèmes. La seconde qui transforme une ritournelle country banjo, harmonica en sabbat absolument sidérant, épatant et très bien exécuté et filmé et qui marquera les débuts de l'assaut du club par les vampires.


Si on peut dès lors tout à fait avoir une lecture premier degré de ces deux scènes. Dire que la première voudrait dénoncer la récupération systématique et injuste des cultures noires par d'autres, la seconde l'illustration de la culture blanche qui voudrait à tout prix s'imposer aux autres, grosso modo pour les noirs le rap et le blues, pour les blancs la variété et la folk, ce qui aurait rendu le film communautariste. Il est bien plus intelligent. En effet ces deux séquences ont en commun que les deux sont effectuées, assistées et conclues avec l'idée que davantage que d'appropriation des cultures on témoigne des influences mutuelles de ces dites cultures, qu'elles ont grandi ensemble, qu'elles ont chacune apportées à l'humanité que tant la musique, que l'art ou que la société contemporaine dans toute sa diversité n'existent que par les rencontres et les échangent qui se sont faits au cours de l'histoire. Et quand je parle de culture ce n'est pas que sous l'aspect "artistique" mais au sens large, puisqu'on y confronte aussi les croyances tant judéo-chrétiennes qu'animistes. Tout le contraire des idées identitaires qui caractérisent la notion de communautarisme. Finalement les représentants de la population au sébum acnéique qui partageaient cette séance ont vu juste, c'est un film profondément humaniste, résolument fédérateur, un film de gauchistes ! Un film pour moi !


Puisque il s'agit d'un divertissement avant tout, signaler aussi que si vous êtes en quête d'un film où vous erez un bon moment et que les considérations socio-politiques que je développe vous en balancent une sans toucher l'autre, vous en aurez pour votre argent. Le film est généreux, il manie l'humour, il joue sur les effets du genre fantastique ou horrifique avec brio, les attaques de vampires offrent de vrais sursauts, c'est assez sanglant, les effets pratiques, maquillages et autres sont de belles factures. Dommage sans ces petites scories d'écriture et de scénario le film rentrait dans la catégorie des très bons films de vampires et ne vous faites pas avoir par ceux qui citent le "Titty Twister" hormis le bar comme lieu où se déroule le récit, ni dans l'intention, ni dans l'exécution les films ne sont comparables.

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