Bourré d'énergie, terriblement captivant et romanesque mais aussi sociologiquement terrifiant.

Au début, on a très peur. Et cela dure durant un bon quart d’heure. « Shéhérazade » est même agaçant voire horripilant et on vient à se demander comment on va tenir tout le film. En effet, on se dit que ce film va plonger tête la première dans toutes les facilités inhérentes aux films de cités et de quartiers. On doit subir des dialogues du cru parfois incompréhensibles, où la langue française est tellement châtiée que Molière s’en retournerait dans sa tombe, et les poncifs que l’on peut redouter dans ce type de films pleuvent comme des grêles. Mais, bizarrement et sans que l’on s’en rende compte, le long-métrage se fait tour à tour plus doux ou plus radical mais surtout moins consensuel face au genre et finit par nous emporter complètement. L’histoire d’amour singulière entre ces deux héros, un jeune délinquant tout juste sorti de la prison pour mineurs et une toute aussi jeune prostituée, nous scotche à notre siège pour ne plus nous lâcher. Des personnages à priori déplaisants auxquels on se surprend à s’attacher.


Jean-Bernard Marlin réussit le tour de force de renouveler le genre du film de banlieue et de ses archétypes en créant sa propre voie. Pour un premier film, c’est d’une maîtrise incontestable à tous niveaux. La mise en scène est au plus près des protagonistes et ne les lâche pas d’une semaine sans tomber dans le travers de la caméra à l’épaule qui donne mal à la tête tandis que le scénario est d’une précision chirurgicale. Hormis un dernier quart d’heure peut-être moins ionnant lorsqu’il s’embarque dans une affaire de viol et de jugement, on e deux heures fascinantes aux semelles de ce couple pas comme les autres sans que jamais notre attention décroche. A cheval entre le polar sans concession et une histoire d’amour contrariée par les conventions et les lois de la cité, « Shéhérazade » frappe fort partout là où il s’aventure. Même sur le terrain social c’est tout à fait probant et d’un réalisme incontestable, preuve du é de documentariste d’un metteur en scène qui connaît sur le bout des doigts les lieux et les gens qu’il filme. On y ressent parfaitement le déterminisme social de ces jeunes qui foncent droit dans le mur, désemparés par une société qui ne leur a pas fait de cadeaux. Marlin ne les excuse pas mais, grâce à des images d’archives en noir et blanc intelligemment placées durant le générique, montre que c’est nos gouvernements qui sont à l’origine de cette immigration massive devenue ingérable.


Dans ce long-métrage, on a affaire à toute une bande d’acteurs non professionnels totalement incroyable. Et c’est là qu’on se dit que la direction d’acteurs est savamment maîtrisée aidée par des comédiens amateurs particulièrement bien choisis. Ils sont effarants de naturel ! Dans « Shéhérazade » se place un souffle romanesque qu’on n’attendait pas si décoiffant. Il y a dans ce film une beauté confondante nichée dans des instants de grâce et d’amour entre ces deux jeunes paumés. Malgré la dureté du sujet et grâce à une énergie incandescente et incessante, nos cœurs s’embrasent pour Zak et Shéhérazade. De plus, le rythme est là et Marlin ne nous laisse pas une minute de répit en nous plongeant dans cet engrenage infernal. Ce film sur une certaine jeunesse apparaît comme le croisement malin entre « L’Esquive » de Kechiche et « La Haine » de Kassovitz s’il fallait vraiment le situer quelque part, entre douceur et rage, entre ion et révolte. Mais, les références ne sont pas indispensables tant cette œuvre est unique. Dans tous les cas, c’est un coup de force et de maître qui marquera les esprits et qui a l’intelligence de se doter d’une fin, pour une fois, positive en dépit d'un aspect sociologique terrifiant.


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le 18 sept. 2018

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Rémy Fiers

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