Se faire un avis sur un film prend généralement les trois premiers quarts d’heure : on fait connaissance, on saisit les enjeux, les choix, on adhère ou non. La plupart du temps, le diesel est lancé et la suite ne fait que confirmer ce qu’on avait commencé à formuler auparavant.
Room échappe beaucoup à cette logique : le visionnage est une succession de montagnes russes oscillant entre ses indéniables qualités et ses défauts tout aussi indiscutables.
Récit d’une séquestration, le film commence évidemment sur le principe du huis clos, en optant pour le point de vue de l’enfant né en captivité. Cela génère une forme de naïveté sur les conditions de vie, et un apprentissage biaisé du réel qui ont pour réel intérêt leur caractère insolite : le dehors de la pièce n’existe pas, n’est qu’une illusion générée par la télévision.
La suite contient des spoils.
La relation fusionnelle avec la mère et l’organisation de l’évasion nous livrent un thriller d’assez bonne facture, mais cette tonalité a le mérite de n’être qu’une étape d’un récit plus ambitieux, celui de la naissance au monde extérieur. Lenny Abrahamson observe minutieusement ces premiers pas, et les accidents qu’ils provoquent. La principale qualité de son regard provient de sa pudeur : à grand renfort d’ellipses, il évoque ce qui aurait pu faire l’objet d’un pathos démesuré : le regard du grand père sur l’enfant né d’un viol, l’ouverture au monde par la grand-mère et sa tendre patience, et surtout, le portrait d’une jeune fille devenue mère et en proie à ses démons. De la prison à la maison parentale, la cellule se recrée, par un jeu sur les niveaux, le sous-sol, les barreaux de l’escalier, dans des prises de vues à la symbolique un peu scolaire, mais souvent juste. Une séquence particulièrement intense, celle de l’interview avec la journaliste, renverse les perspectives et dévoile la folie latente d’une femme fusionnelle avec celui qui l’a fait tenir mais qu’elle a enfermé aussi avec elle. Cette reconquête, le temps des reproches et ce lent chemin vers l’apaisement, dévoilés par touches successives, sont souvent d’une grande pertinence, aidée par des personnages secondaires (Joan Allen, la grand-mère, mais aussi son compagnon, suffisamment neutre émotionnellement pour pouvoir injecter de la normalité dans ce foyer) tout aussi convaincant que le duo de comédiens de haut vol formé par Brie Larson et Jacob Tremblay.
Voilà de quoi s’incliner. Mais c’est sans compter deux éléments proprement inables, qui viennent à intervalles régulier ruiner la subtilité générale : la voix off et la musique. La première consiste à donner la parole à l’enfant (surlignée par un effet d’écho des plus irritants, pour bien signifier qu’elle est extradiégétique) qui nomme naïvement les enjeux déjà pourtant clairs à l’écran. C’est lourd, poussif, et nous prendre vraiment pour des imbéciles. La deuxième opère exactement sur le même principe : expliciter les émotions, nous servir la petite soupe de la fausse innocence au début, puis le lyrisme pompier des grands moments. Cette laque indé, déjà irritante dans les débuts de Last Days of Summer, ce qui est une véritable insulte à l’intelligence dont il sait souvent faire preuve. Dommage, il est pourtant à défendre.