Réalisé par Norman Jewison (L’Affaire Thomas Crown) en 1975, Rollerball est l’adaptation d’une nouvelle publiée deux ans plus tôt par William Harrison, qui déclara à l’époque avoir observé que certains ers d’équipes de basket semblaient plus motivés par la violence dans les gradins que par le jeu lui-même (ce qui est devenu une évidence depuis). Scénarisé par Harrison lui-même, Rollerball s’inscrit donc dans la continuité de la SF dystopique à propension alarmiste des 70's (Soleil vert, Orange mécanique, Farenheit 451, THX 1138, Mad Max), héritière des oeuvres littéraires d’Orwell, Huxley et Bradbury. Ici, on annonce même le cyberpunk avec un futur alternatif (l’intrigue se déroule en 2014) dans lequel les nations n’existent plus et le monde est dirigé par des mega-corporations. Ainsi des corporations de l’agriculture, de l’économie ou du divertissement y sont censés pourvoir aux besoins et au bonheur de chaque citoyen. Dans ce monde, les guerres n’existent plus, les émotions sont contenues par des médicaments inhibiteurs, les relations se révèlent biaisées, les couples sont artificiels et l’amour quasiment inexistant. Les pulsions de violence populaire sont canalisées par les dirigeants via un sport spectacle particulièrement brutal, le Rollerball. Sur une piste circulaire façon roller derby, tous les coups bas sont quasiment permis et les équipes de chaque métropole courent après une sphère de métal propulsée à grande vitesse pour marquer le plus de buts possibles sur une dizaine de tours. Parmi eux, Jonathan E. (James Caan, tout juste revenu du péage du Parrain) est le capitaine de l’équipe de Houston et le champion toujours invaincu. Au sommet de sa gloire, il est convoqué par le dirigeant de la corporation du sport qui lui demande d’annoncer sa retraite. Mais Jonathan refuse d’abandonner son équipe à la veille du championnat du monde. Il essuie alors plusieurs tentatives de manipulation de la part de la corporation qui, quelques années auparavant, lui avait déjà "enlevé" la femme qu’il aimait. Déterminé à en savoir plus, Jonathan découvre que sa popularité est devenue une menace pour les dirigeants et que ceux-ci sont prêts à tout pour le sortir du circuit, y compris à le faire tuer.
ant plutôt bien le age du temps, le film de Jewison reprend donc à son compte les thématiques habituelles de l’anticipation dystopique, non sans en profiter pour les détourner. De la même façon que le modeste Guy Montag est l’instrument consentant de la dictature dans Farenheit 451, Jonathan E. est ici la star d’un sport meurtrier et finit par remettre en question son rôle ainsi que le système totalitaire auquel il participe. Sa quête de réponses va s’opposer aux verrous d’une société superficielle et sexiste, aux pulsions animales larvées, où les épouses et les compagnes sont attribuées aux hommes influents, où les puissants méprisent le "jeu" et le peuple, où les nantis s’amusent à brûler des arbres pour se défouler, où les ordinateurs censés tout savoir deviennent fous, et où l’Histoire de l’humanité elle-même a été "égarée". Figure de proue de ce monde malade, Jonathan s’échine à résister, motivé par un amour perdu et par sa rancune d’un système qui lui a toujours tout dicté et qui lui ordonne désormais de disparaître. La seule chose dans laquelle il excelle, le Rollerball, est un champ de bataille dans lequel il risque sa vie, mais qui est aussi, paradoxalement, son dernier espace de liberté lui permettant de se battre et de garder le contrôle dans un jeu d’extrême survie.
En témoigne cette scène finale, culte, en forme de doigt tendu à la dictature et à la violence inhérente à l’humanité, où le héros, dernier debout sur la piste, renonce finalement à s’avilir dans la brutalité crasse et se met à rouler avec un sourire vengeur, galvanisé par la foule qui scande son nom. Il a refusé d’être le jouet des puissants, et par sa détermination à se battre, il en est devenu un lui-même. Nitzchéen le film de Jewison ? Un peu oui.
Superbement photographié par le légendaire Douglas Slocombe (ce plan dans le couloir des coulisses baigné de rouge), soutenu par l’utilisation répétée de la Toccata de Bach, et porté par James Caan, parfait de charisme brutal et de résilience larvée, Rollerball fut mal accueilli à sa sortie mais reste un grand film d’anticipation qui critiquait déjà son temps et préfigurait certaines dérives de notre époque (les couples "attribués" et sans amour, la désinformation de masse, l’érosion de l’empathie et de la culture, le peuple qui ne lit plus, l’ordinateur centralisant toutes les connaissances, les écrans omniprésents, les ers enragés, et bien sûr, l’instrumentalisation du sport-spectacle pour canaliser la violence du peuple). Le mangaka Yukito Kishiro s’en souviendra en en reprenant les composantes du Rollerball pour imaginer le plus excessif Motorball dans ses mangas Gunnm et Ashman (que beaucoup ont découvert dans le film Alita Battle Angel). Un jeu vidéo des années 90, Speedball, s’en inspirait également.
Il est dommage que John McTiernan, qui avait pourtant repris avec succès un autre film de Norman Jewison (Thomas Crown), se soit à ce point fourvoyé dans son remake de 2002 de Rollerball, production boursouflée et indigente, sabotée par ses producteurs. Peu importe, le classique de Jewison, lui, garde toujours tout son impact et se e de relecture.