Rois et Reine, s'il ne se résumait qu'à son sujet (la famille décomposée et recomposée), ne présenterait pas grand intérêt vu les dizaines d'autres films via lesquels le cinéma français s'en est (trop) fait le spécialiste. Mais ce sujet, Arnaud Desplechin l'exploite, l'explore, le secoue au point de le faire imploser en autant de pièces d'un puzzle qu'il met 2h30 à reconstituer. 150mn où s'entrecroisent un musicien interné à la demande d'un tiers (Mathieu Amalric, génial comme souvent) dont l'ex déboussolée (Emmanuelle Devos, idem) doit veiller un père désormais sur son lit de mort. Trois des principaux personnages d'une oeuvre poupées russes qui brasse large dans son ensemble mais sait, au coeur de chaque séquence, filer droit à l'essentiel. Un exploit pour un film dont la durée aurait pu alourdir le propos, verser dans des logorrhées moralisatrices.
Très peu pour Arnaud Desplechin : il envisage sa mosaïque sous l'angle d'un objet ludique, imprévisible, en constante mutation et pourtant d'une cohérence à toute épreuve. Une oeuvre fantasque qui prend soin de négocier son moindre changement de registre, sa moindre digression et chacun de ses parti-pris de mise en scène. De périlleux virages à 180° que Desplechin négocie avec invention et humour, mais aussi avec une volonté farouche de dépeindre sur la toile les sentiments et contradictions de ses protagonistes dans toute leur complexité. Jalousie, amour, rancoeur, cynisme... Tout y e avec une égale virtuosité. Habité par un grain de folie qui autorise à Rois & Reine presque toutes les audaces, Desplechin est le maître d'oeuvre d'un film insatiable, galerie pittoresque d'hommes et de femmes abîmés par la vie, tous pris au piège d'une des plus originales fêtes cinématographiques de notre 7ème Art national.