Avec Queer, Luca Guadagnino poursuit son exploration des identités et des désirs avec une mise en scène à la fois sensuelle et mélancolique. Adaptation du roman de William S. Burroughs, le film s’imprègne d’une atmosphère flottante, parfois hypnotique, portée par un Daniel Craig étonnant dans un rôle à contre-courant de son image virile et hétéro. Il y incarne Lee, un expatrié américain au Mexique, errant entre drogues, désir et quête existentielle.
La photographie est à couper le souffle, alternant entre des travellings horizontaux capturant l’effervescence des rues mexicaines, des plans aériens ciselés et épurés, et des cadrages très resserrés, presque suffocants, au cœur de la jungle. Les intérieurs, eux, sont cadrés avec une précision presque picturale, construisant des compositions où chaque détail compte. Guadagnino excelle à traduire l’état mental de son personnage par l’image : longues séquences fixes, plans rapprochés sur un Daniel Craig insaisissable, dont les expressions trahissent un malaise diffus, une souf à peine contenue.
Le film joue aussi avec les silences et les temps morts, notamment à travers de longs plans-séquence fixes. Comme cette scène hypnotique où Craig, seul dans la nuit après une dose d’héroïne, fume longuement, laissant transparaître son mal-être sans qu’un mot ne soit prononcé. La musique accompagne bien ces moments, renforçant cette impression d’errance, où l’on se laisse porter par une atmosphère plus que par de l'action. (malgré cet agaçant thème récurrent à la flûte)
Un mal-être qui sera souvent incarné concrètement par son rapport aux drogues. D'abord éclipsé, ce thème se dévoile progressivement : de quelques indices disséminés en début de film, il devient l’élément central de la quête du héros, jusqu’à se révéler comme la cause de son exil au Mexique. D’abord l’addiction à l’héroïne, puis un palliatif avec la cocaïne en Amérique du Sud et les microdoses istrées par un médecin. Enfin, l’ayahuasca devient un moyen d’accéder à une forme de « télépathie » avec les autres – une tentative désespérée de compréhension de soi et du monde. Son rapport aux opiacés, d’abord en arrière-plan, prend peu à peu une place centrale, révélant une ambivalence complexe.
C’est finalement de ça qu’il s’agit : percer sa propre nature et s’accepter. Le film se resserre progressivement, partant du théâtre animé et queer de Mexico, réduisant son cadre à un road trip à deux en Amérique du Sud, pour finir dans une cabane isolée en pleine jungle. L’espace autour de Lee se réduit, jusqu’à le confiner non seulement physiquement, mais aussi mentalement, dans cette quête de connexion quasi mystique avec un « Autre ».
Mais si cette trajectoire semble limpide a posteriori, elle ne l’est pas toujours pour le spectateur. Queer est un film maladroit, dont le rythme décousu peut dérouter. On suit une intrigue amoureuse un peu plate entre Lee et un jeune homme indifférent, pour finalement comprendre que le véritable fil rouge est ailleurs : dans sa propre quête de soi et d'acceptation. Comme dans Call Me by Your Name, Guadagnino joue avec une relation mi-amoureuse, mi-initiatique, mais cette fois dans un cadre plus sombre et désabusé.
En définitive, Queer est avant tout un film sensoriel. Il privilégie l’ambiance à la narration, les sensations aux dialogues explicites. Daniel Craig y livre une performance remarquable, troublante, explorant une vulnérabilité que je ne lui connaissais pas. Mais à force d’enchaîner les longs plans fixes et les ellipses, le film finit parfois par ennuyer. Il nous entraîne dans un brouillard, avançant au même rythme que son héros. Mais là où lui cherche un reflet de son âme, j’attendais peut-être un chemin plus clair, une destination plus tangible. Mélancolique et un peu vain, alors que tout semblait si existentiel.