Il y a dans All That Jazz une œuvre qui suinte la lucidité jusqu’à l’écœurement. Ici, Bob Fosse s’autopsie. Et pas dans un geste discret, allusif, pudique. Non. Il y va avec le spot dans les yeux, les paillettes au coin des lèvres, le regard dans le vide et la musique dans les artères.
All That Jazz est un film d’éclat. Alors la caméra n’a pas le temps de s’attarder : elle coupe, elle fracture, elle relance. C’est le montage lui-même qui a des palpitations. Chaque scène est une relance.
Il faut dire que Fosse ne cherche pas à nous émouvoir : il nous expose. Et dans cette exposition, il nous rejette un peu. Joe Gideon, double à peine masqué de Fosse, n’est pas un personnage tragique : il est une énigme cynique, un salaud conscient, un homme qui transforme sa propre déréliction en numéro de cabaret. Et cela peut devenir lassant.
On pourrait croire à une confession. Mais All That Jazz est trop écrit, trop chorégraphié, trop parfait pour être une vraie défaillance. Tout y est cadré, habillé, magnifié. Même l’effondrement est mis en scène, mis en lumière, recouvert de velours rouge. Il y a là une forme d’auto-mise à mort spectaculaire qui flirte parfois avec le mauvais goût sublime.
Le film est saturé. Saturé de musique, de sueur, de mots, de névroses. Il ne laisse pas de vide. Il n’y a pas un plan qui respire. C’est un cinéma de l’étouffement, de l’inconfort chic. L’émotion est souvent court-circuitée par le style. On ire, oui, mais d’un regard sec.
Et pourtant, difficile de ne pas être saisi par certains moments de grâce : la mort qui danse en robe blanche, la répétition qui devient confession, la main qui tremble sur la poignée de pilules. Il y a là un théâtre du corps qui flanche, un spectacle du moi qui craque mais dans une scénographie si réfléchie qu’on doute toujours de la sincérité du cri. Le “Bye Bye Life” final n’est pas un adieu : c’est un rappel. Une sortie en scène. Une manière de dire que même la mort, il faudra la jouer.
Ce film est une œuvre-miroir, où l’auteur se regarde crever avec le sourire du clown triste. Et cela peut fasciner, autant que cela peut exaspérer. Tout y est trop. Trop beau, trop contrôlé, trop brillant pour ne pas susciter un doute.