J’entends déjà d’ici les procès intentés au dernier film de Sofia Coppola, comme pour les précédents On the rocks : trop superficiel avec ce souci obsessionnel de l’apparence et l’absence de discours critique, trop froid à cause de cette relation presque frigide entre le couple Priscilla/Elvis, trop mou par manque d’évènements. Et pour les plus simples d’esprit, trop de Priscilla et pas assez d’Elvis (comment, aucune chanson du King ?! Voyez avec ses descendants).
Toutes ces critiques doivent à mon sens être vues sous l’angle opposé, car c’est cela même qui fait le charme du film. Tout d’abord le soin apporté aux costumes, aux coiffures, aux objets d’époque (voitures, cigares, télévision, tapis à longs poils, …) contribue à évoquer le temps oublié à travers une reconstitution fidèle ; par ailleurs la recherche esthétique sur les intérieurs de la maison d’Elvis (Graceland), le cadrage et la lumière feutrée œuvrent à l’écriture d’un récit de l’intime d’une figure publique. Le film se déroulant presque exclusivement à Graceland, le portail tient la claire fonction de frontière entre les deux mondes : celui des groupies qui attendent patiemment à l’extérieur contre celui de la cage dorée où Priscilla attend elle aussi son homme souvent absent, mais où on peut s’am aussi, surtout dans des séquences très Insta au bord de la piscine ; celui où le réel guette l’idéal et le rêve contre celui où le conte de fées s’est effacé au profit du réel; celui du monde fictif de la presse, de la communication, du storytelling qui prêtent à Elvis des histoires d’amour surtout à des fins mercantiles contre celui où Priscilla traîne son ennui seule dans des couloirs sombres; celui des photos, des costumes à paillettes, de la starification devenue glorification contre celui de l’homme redevenu humain avec tous les défauts qui vont avec (amphétamines et médicaments pour dormir, moments d’apathie et de lassitude, manque d’appétit sexuel, « cachotteries » d’homme entouré de groupies et de stars de cinéma, agressivité et domination, vide prégnant, …).
La scène où l’on voit Priscilla, désormais femme, cheveux laqués, contemplant à la fenêtre l’extérieur pendant un temps très long juste après une dispute qui précède de peu son départ définitif représente bien cette séparation essentielle entre le dedans et le dehors dans ce récit de l’intime : introspection, intériorité, emprisonnement dans le dedans qui fuit grâce au regard vers le dehors. Car pour Priscilla arrivée gamine, innocente et hautement désirable, comblant alors une carence affective chez son futur mari, partant femme et mère mais ne se sentant plus aimée, délaissée par un homme constamment ailleurs, un tel dédain ne peut plus durer. Sofia Coppola explore bien le manque, l’ennui, l’absence, le vide dans Priscilla mais sans juger ni surligner, avec une certaine justesse qui dédouane partiellement un Elvis Presley que d’aucuns n’omettront pas de condamner à la lumière de nos valeurs actuelles.