Tout commence par un générique ma foi fort élégants, quelques pages blanches, quelques mains tenants quelques crayons esquissant un même sujet, les noms du générique s'inscrivant naturellement sur le papier, le film peut commencer. Tout commence toujours par une page blanche. Et tant qu'à avoir ce début, autant en faire des tableaux. Ainsi donc, la caméra fixe, les couleurs, les costumes, la composition du cadre et l'absence de musique font de ce film un objet esthétique assez fameux, comme une suite de tableaux vivants.
Cependant, ce choix esthétique me pose problème.
D'un côté, il est cohérent avec le sujet, on parle d'une peinture, d'un portrait, mais de l'autre, il me semble peu compatible avec l'idée même de feu. Alors certes l'élément feu en lui-même apparait à de mémorable reprise, mais il manque quelque chose. Et pour bien le faire comprendre, je vais prendre un age d'un livre que j'aime beaucoup : la voix du feu, d'Alan Moore :
« Nous nous sommes amusées et, à la fin, ils nous ont fait sortir et nous ont toutes deux brûlées, réduites en poussière. Ils avaient une magie plus forte. Bien que leurs livres et leurs mots n’aient point de vie, qu’ils soient tristes et point si jolis que les nôtres, ils avaient une plus grande pesanteur, et nous ont ainsi tirées à terre, en fin de compte. Notre Grand Art concerne tout ce qui peut changer ou bouger dans la vie, mais, avec leurs interminables griffonnages, ils cherchent à immobiliser la vie, si bien qu’elle sera bientôt étouffée, écrasées sous leurs manuscrits. Pour ma part, je préfère encore le Feu. Lui au moins il danse. La ion ne lui est pas étrangère. »
De ne pas avoir de musique, d'avoir une caméra si austère, cela ne correspond pas au feu, à la ion. J'aurais bien voulu voir un moment plus libre, plus fou, plus intense. Peut-être pour un moment oser faire trembler la caméra, peut être avoir pour un temps un jeu d'acteur plus délié, peut être pour un instant faire un montage plus étonnant, plus vif, sortir un peu de cette pesanteur qui donne de si belles images qui durent pour en faire d'autre promis à l'instant et changeant dans celui d'après, comme un feu. J'ai l'impression que la volonté même de la forme étouffe le sujet.
Dans cette optique, assez rapidement dans le film, je me suis demandé si on verrait les scènes d'amour. M'intéressant un peu aux problématiques du female gaze et un peu plus à la mise en scène des moments intense d'amour, j'étais vraiment curieux de voir comment cela allait tourner et ce qui serait ou non montré. Alors certes, c’est élégant et gracieux, le plus souvent on ellipse, le reste du temps on met un doigt sous l'aisselle, mais ça manque un peu de ion justement. Ça reste très calme. Or l'amour justement et le sexe surtout, c'est un intense moment de vie. C'est un moment qui fait appel à tellement de sens et d'émotion intime, à tellement de sensations et de stimulus multiple, que de le mettre en scène au cinéma est un exercice très difficile Après tout, le cinéma ne donne qu'à voir et à entendre. C'est donc le moment ou il fait faire péter la cinématographie pour donner à ressentir, faire er tant par si peu. De la synesthésie en somme, ou plutôt de la cinésthésie.
Je n'aurais pas été contre un tel envol, même totalement métaphorique et évocateur, si cet envol s'étais laissé porté par le moment fait Intensité et ion. Peut-être une telle séquence aurait fait sortir du film, mais les quelques apparitions fantastiques me font penser que cela aurait pu er.
Enfin bref, peut être que je dis totalement n'importe quoi, après tout, le film est achevé, on ne peut le changer et ce n'est d'ailleurs pas souhaitable. J'avais juste ce petit ressenti sur le bout de la langue. Après tout, j'ai é un très bon moment, j'ai ressenti les émotions qu'il fallait ressentir au moment où il fallait les ressentir, j'ai accepté l'invitation à partager un doux moment avec ces trois personnages, et à être à leurs niveaux. J'apprécie tout particulièrement le petit tressage avec Orphée, c'est le genre de sucrerie narrative que je recherche dans la fiction (d'où d'ailleurs mon amour platonique pour Alan Moore), même s’il provoque une fin qu'en fait c'en est pas une mais que la fin d'après est plus émouvante.
Certaines personnes reprochent que le film ne parle pas de la classe sociale entre les deux héroïnes, en tant que frein à leur relation, mais j'avoue apprécier l'absence de ce propos, c'est comme si ce moment était un doux rêve, un instant perdu dans le vaste monde bien plus dur. Et bien sûr, comme tout rêve, il faut bien qu'il accepte de laisser sa place et s'achève.