En 1977, Scorsese, auréolé du succès de Taxi Driver, peut mettre des moyens sur ses ambitions. Parce qu’il est avant tout cinéphile, il lance alors un important projet de film hommage à ceux qu’il a pu voir dans sa prime jeunesse, âge d’or des comédies musicales en Technicolor.
L’idée peut paraître saugrenue lorsqu’on sait avec quel talent et quelle fièvre il a su coller aux bas-fonds new-yorkais et aux destinées des anonymes qui le peuplent. Mais c’est aussi une facette de sa ville que d’appartenir au mythe, et Scorsese se frottera à plusieurs reprises à la légende, historique (After Hours).
Sur cet aspect, le travail d’historien du cinéma fonctionne à plein régime : festival coloré, décors en cartons à dimension expressionniste, reconstitution plantureuse et longues scènes musicales alimentent un hommage chamarré et sincère. Happy Endings, le film en abyme qui clôt le récit, ne ménage ainsi pas ses efforts pour égaler les modèles, et le morceau éponyme peut effectivement prétendre à sa place dans les titres phares du septième art. Dans la fébrilité de l’après-guerre, Scorsese joue autant la carte de la nostalgie d’un cinéma du é que l’enthousiasme pour l’évolution du jazz, qui e du big band blanc au be bop noir, des palaces de Manhattan aux bouges de Harlem.
L’autre réussite tient dans le personnage de Jimmy Doyle, aussi inable que comique et pour lequel De Niro livre une nouvelle facette de son talent. Aux antipodes de Taxi Driver, annonçant bien des travers de son personnage dans La Valse des Pantins, le comédien se fait visiblement plaisir, et nourrit quelques-unes des bonnes scènes du film, comme cette drague poussive de 20 minutes en ouverture, l’arnaque au comptoir des hôtels ou, surtout, la demande incongrue en mariage un soir neigeux de tournée. Dans cette excentricité amusante se loge une violence latente toujours prête à bondir, une contradiction qu’on retrouve dans un très grand nombre de figures de la filmographie de Scorsese, au sommet de laquelle trône bien entendu Joe Pesci dans Les Affranchis.
Mais ce sont bien là les seules qualités du film, qui souffre le reste du temps d’une pesanteur généralisée. Répétitif dans ses scènes de ménage, bavard sans qu’on y décèle de véritables évolutions, ce monstre de deux heures quarante n’est pas des plus digestes. Autant l’aspect autodestructeur et l’incapacité à gérer une réussite et un couple irradieront Raging Bull, autant la variation proposée ici s’embourbe à maintes reprises. Certes, le sens visuel de Scorsese est toujours présent, dans sa gestion des décors, les mouvements sophistiqués avec lesquels il filme les parties musicales à grand renfort de grue, ou des éclats de colère, comme cette très belle expulsion de Jimmy dans un couloir d’ampoules qu’il fait exploser…
Mais le montage général manque d’efficacité ; l’alliance entre la nervosité scorsesienne et la pesanteur de la reconstitution peinent aussi à convaincre. Le cinéaste a payé son tribut, et le film sera un échec commercial : il aura l’intelligence d’alléger ses hommages par la suite, comme dans le plaisant Hugo Cabret, et, surtout, de er par les documentaires (comme l’essentiel Voyage à travers le cinéma américain) pour parler sans contrainte de sa ion pour le cinéma.
(5.5/10)