Pamphlet sans concession sur la télévision, Network a un premier mérite, celui de son année de production. En 1977, les coulisses qu’il donne à voir sont encore peu connues du public, et font l’effet d’une bombe.
Lumet film au scalpel un monde bicéphale dans lequel on communique à outrance tout en travaillant sa surdité.
La trame principale relate l’inventivité de plus en plus malsaine des producteurs pour gagner des parts de marché dans l’audimat. Voyeurisme, nouveaux prêtres pour galvaniser les foules, Diana, Faye Dunaway vénéneuse à souhait, cherche "The Angry Prophet Denouncing the Hypocracies of Our Time" ayant compris que « les américains veulent qu’on prenne en charge leur rage ». De ce constat découle une nouvelle forme de télévision, qui mêle information et show, qui intègre dans ses programmes des actions terroristes réellement filmées pour les scénariser par la suite. Difficile de ne pas voir Lumet lui-même en prophète dénonçant les dérives de l’image de son temps… et annonçant très clairement les tendances du nôtre.
Tout le paradoxe est là : récupérer et digérer un discours antisystème d’un présentateur vedette pétant les plombs pour l’intégrer à ce même système. Au bord du gouffre, d’un cynisme total, la production semble surfer sur le fil du rasoir tant que le public suit.
Les coulisses présentent quant à elle les individus décisionnaires de cette négation de l’humanité. Incapable de suivre une communication unique, leur situation d’énonciation est sans cesse multiple. Devant un écran, mais au téléphone, en régie mais sans prendre conscience de ce qui se dit sur le plateau, à savoir l’annonce en direct d’un suicide, parlant boulot pendant l’amour, mêlant discours idéologique et contrat d’exclusivité : désaxés, branchés au pouls frénétique de la course à l’audience, les personnages ne peuvent que finir par hurler, se trahir et se dissiper.
C’est peut-être sur ce dernier sujet que Lumet manque un peu de finesse. La romance entre Dunaway et Holden, sans cesse soulignée par un discours forcé sur la mise en abyme du scenario et de la vie réelle est à la longue un peu poussive. De la même manière, le discours pamphlétaire est un peu sur le même fil que l’émission de Beale : pas tout à fait grotesque, pas entièrement crédible, elle oscille entre la farce cynique et le regard clinique, ce qui, notamment lors du dénouement, nuit un peu à la force de l’ensemble. En guise de comparaison, la charge émotionnelle du final de Point Limite, tout aussi excessive, était pourtant parfaite.
Reste, dans ce jeu de massacre, le public : vaste troupeau dont on guette les moindres désirs, il semble peu représenté, à l’exception de la foule applaudissant facticement l’émission ou lors de cette très belle séquence où l’on sort la tête à la fenêtre pour obéir au gourou : la façade en plan large sur toutes les lucarnes est une image sans appel, donnant à voir les spectateurs enfermés dans leur cadre, et convaincus d’affirmer haut et fort le libre arbitre qu’on leur a dicté.
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