Projeté sur les écrans français en mars 2005 (j'avais 4 ans), je suis restée plus tard totalement imperméable à Mysterious Skin alors que j'ai découvert les 3 films suivants de Gregg Araki (Smiley Face, Kaboom et White Bird) qui restent visiblement spécifiques à ma génération et malheureusement peu appréciés par un public plus âgé. Pourtant, je ne pense pas qu'Araki soit un cinéaste particulièrement générationnel. Il aborde simplement des sujets universels à sa sauce en démontrant, à l'instar de Larry Clark, que les affres de l'enfance et de l'adolescence révèlent consciencieusement nos destinées.
Adaptation du roman éponyme de Scott Heim publié en 1995, Mysterious Skin narre le traumatisme vécu par deux enfants suite à leur rencontre avec un entraineur de base-ball adulte et pédophile. À l'adolescence, si l'un a tout oublié et se lance à la recherche de ses souvenirs, l'autre s'autodétruit en se prostituant. Un sujet difficile qu'Araki sait transcender au-delà d'une morale particulièrement douteuse et qu'il métamorphose ici sous le couvert du 7e Art. Quant à celles et ceux qui refusent qu'un sujet aussi grave que la pédophilie puisse être métamorphosé en œuvre d'art, il leur suffit simplement de se pencher sur l'origine de la plupart des contes qui ont bercé leur tendre enfance.
Il est par ailleurs important que des sujets aussi graves et dérangeants soit abordés ainsi. La pédophilie et l'inceste étant par ailleurs les sujets principaux de la célèbre série TV Twin Peaks qui accoucha du non moins célèbre Twin Peaks : Fire Walk With Me pour le cinéma, œuvre qui s'étendit sur le traumatisme de la jeune Laura Palmer, régulièrement violée depuis son enfance et qui s'adonne à la prostitution du haut de son adolescence. Il y a par ailleurs ici une forme de parallèle artistique entre l'œuvre de David Lynch et celle de Gregg Araki.
Enfant, Brian Lackey a oublié cinq heures de sa vie. Régulièrement victime de saignements de nez et d'évanouissements foudroyants, il est persuadé que des extraterrestres l'ont enlevé. Pour reconstituer la soirée oubliée, il cherche à retrouver Neil McCormick, jeune éphèbe insouciant mais autodestructeur, qui semble détenir la clé de l'énigme…
À l'aide d'un édifiant casting de jeunes talents (Michelle Trachtenberg, Joseph Gordon-Levitt, Brady Corbet, Jeffrey Licon) secondés par des adultes au plus haut de leur forme (Elisabeth Shue, Bill Sage, Chris Mulkey), Mysterious Skin aborde un sujet atroce avec une forme d'empathie extrêmement rare. Dotée d'une totale absence de jugement moral, l'œuvre s'accorde sur le différent devenir des deux jeunes victimes traumatisées à vie. À l'image de très nombreux pédophiles, celui de Mysterious Skin reste inapparent après ses horreurs commises et nous suivons ici la conséquence de ses actes selon la propre personnalité des martyrs. Et c'est en ce sens que le film devient littéralement ionnant et transcende son difficile sujet.
Si l'un plonge dans la prostitution homosexuelle en refusant catégoriquement la relation amoureuse qui le lie à sa plus proche amie (incarnée par Michelle Trachtenberg, ici littéralement géniale), l'autre s'est égaré dans une forme d'abnégation l'incitant à croire à un enlèvement extraterrestre. Et c'est lors des retrouvailles entre ses deux adolescents perdus que la sombre vérité va indubitablement ressurgir.
Gregg Araki prouve ici qu'il est un véritable génie en tant que cinéaste, alliant ouvertement sensibilité et intelligence pour clairement dénoncer l'horreur et la noirceur d'actes pédocriminels. Si le sujet sera également et talentueusement abordé par David Schimmer dans Trust, en 2011, avec l'excellente Liana Liberato dans le rôle d'une (trop) jeune victime, Mysterious Skin reste peut-être l'œuvre la plus aboutie en transcendant l'onirisme absolue d'un même chemin croisé par deux enfants martyrs. Avec une ambiguïté somme toute très rare en abordant ce type de sujet pour le cinéma, Araki démontre combien l'esprit enfantin peut traduire une forme d'horreur absolue en actes littéralement jouissifs ou, au contraire, en névroses terrées par une faculté d'effroi qu'il est préférable d'enfouir au plus profond de sa mémoire. Mais dans les deux cas, la monstruosité reste ubiquiste et détruit tout autant une personnalité qu'une harmonie de vie.
Merci Mr. Araki, vous avez réalisé ici un IMMENSE film.
* Merci mille fois à Torrente pour la découverte et R.I.P Michelle, partie bien trop tôt.