Le Roi Lion était un opéra shakespearien dans la poussière de la savane, où la mort d’un père suffisait à faire trembler l’ordre du monde. Mufasa, lui, arrive par l’arrière, les pattes dans les traces d’un mythe trop lourd pour lui. Le titre dit tout : ce n’est plus Le Roi Lion, c’est Mufasa: Le Roi Lion. Le nom propre s’ajoute comme une revendication.
On attendait Jenkins ailleurs. On le retrouve pourtant ici, ou du moins, on croit le retrouver car il est dans une étrange posture : celle d’un cinéaste de l’intime parachuté dans l’univers tonitruant de la multinationale Disney. Alors il tente un truc : injecter de la mélancolie, du trouble, du destin contrarié dans ce que l’industrie voudrait figer sur une ligne claire.
Et le film, au fond, n’est que ça : une tension permanente, prisonnier de son double impératif (honorer une mythologie mondialement connue et tenter d’y injecter une voix d’auteur) avançant par compromis. Certaines scènes rejouent les enjeux du premier Roi Lion sans les déplacer vraiment, comme si le é cannibalisait sans cesse le présent.
L’animation photoréaliste est à la fois un tour de force et une ime. C’est là que réside le paradoxe de cette entreprise : vouloir faire naître l’émotion dans des visages qui ne peuvent pleurer, des bouches qui ne peuvent sourire. L’expressivité numérique, malgré ses prouesses techniques, montre ses failles. Le regard des lions, même meurtri, reste celui d’un programme informatique.
Et pourtant, quelque chose affleure, parfois. Elle est là quand Mufasa n’est encore qu’un lionceau anonyme. Elle est là dans le regard de Taka, dans ce frère qui deviendra Scar.
La musique, signée Lin-Manuel Miranda, tente elle aussi de dialoguer avec l’héritage. Elle n’est ni mauvaise ni honteuse, simplement trop sage, trop consciente de sa position d’héritière. Là encore, l’émotion semble corsetée.
Et c’est peut-être ça le vrai paradoxe du film : vouloir raconter une naissance dans un monde déjà saturé d’images. Car comment faire naître l’inconnu quand tout est déjà connu ? Comment créer du vertige quand le récit est une ligne droite vers ce que l’on sait ?
Mais la machine Disney, elle, exige des certitudes. Elle veut des réponses, des arcs narratifs, des motivations claires. Alors le film obéit. Il se redresse, se rhabille, rentre dans le rang. Le récit se referme. La promesse d’une fresque vibrante devient une success story calibrée. Et Jenkins, qui aurait pu ouvrir des gouffres, se contente de glisser quelques ombres dans les marges.
Mufasa: Le Roi Lion n’est donc ni un désastre ni une réussite. C’est un film où la beauté visuelle semble parfois trahir la profondeur du sentiment, où la perfection technique dissimule mal la mélancolie d’un auteur empêché.