Réalisé par Sam Raimi, dont c’est le deuxième film, et écrit par les frères Coen, c’est aussi leur deuxième, Crimewave n’est pourtant jamais sorti de l’ombre, malgré de tels noms au générique.
C’est peut-être à cause de son ton, au second degré, dans ce qui est une relecture du film noir hollywoodien, sans tomber dans la parodie. La caméra de Raimi en reprend presque tous les codes, mais aussi les clichés, entre les jeux d’ombres, les choix de vues et les quelques détails tels que les journaux qui volent, les halos noirs ou les lampes accrochées au balcon qui basculent leur lumière sur les protagonistes. Et même le pitch est trompeur.
Comme dans l’excellent D.O.A., Crimewave commence par la fin, ou du moins l’annonce imminente de celle de son personnage principal, Victor Ajax, condamné à mourir sur la chaise électrique. Dans un retour en arrière, le film nous fait découvrir pourquoi il est là, lui qui n’est qu’un simple technicien électrique, tenant de courtiser Nancy, plus habituée aux charmes machistes. Malheureusement les deux patrons qui emploient Victor ont décidé d’en finir avec leur associé respectif. En comptant sur les services de deux gangsters un peu trop bas du front, si le meurtre de l’un est un succès, par effet boule de neige, tout le monde est menacé, y compris Victor.
Sauf que Victor n’a rien du héros de film noir, il est drôle mais fragile. Que les deux brutes tiennent plus du duo de malfrats d’Home Alone que de deux représentants de la pègre. Et que ce meurtre initial va prendre des proportions incroyables. Crimewave est une comédie noire, qui verse dans l’excès. Beaucoup de gags sont visuels, et touchent au corps, de la maladresse à l’agression, à chaque fois subis mais sans que cela ne prête vraiment à conséquences. Oui, le film pioche aussi dans la comédie burlesque américaine. Mais il le fait mieux que la tentative de Radioland Murders dix ans plus tard, poussive.
Cela tient probablement à une équipe solide, avec un Sam Raimi qui a les moyens de ses prétentions, qui quitte l’amateurisme du premier Evil Dead. Outre la réalisation rendant avec justesse l’hommage aux films noirs, il y a aussi des décors habilement malmenés, et une longue scène de cascades en voitures qui s’étire un peu trop mais malgré tout assez proprement menée. Le scénario des frères Coen ne manque pas de surprises et de bonnes idées. Et la distribution (Reed Birney, Sheree J. Wilson, Bruce Campbell, Brion James, Paul L.Smith) fait ce qu’on lui demande : en faire trop, cabotiner, ce qui n’a jamais été aussi attendu que pour ce film. À ce petit jeu, ce sont les personnages secondaires qui crèvent le mieux l’écran, les trois lascars cités en dernier dans ma parenthèse, justement parce qu’ils ont les caractères les plus poussés à l’extrême.
Si le résultat à l’écran ne semble pas en attester, Crimewave a pourtant connu un développement chaotique, qui aurait pu mettre à mal l’amitié entre Sam Raimi, les frères Coen et Bruce Campbell. En travaillant avec un gros studio de production, Embassy Pictures, ils durent se plier à certaines exigences, et on peut supposer que la scène d’action en voitures, très années 1980, provient des producteurs, tant elle a un peu de mal à s’insérer dans l’humour du film. Dans tous les cas, il fut imposé à Sam Raimi certains acteurs, et il lui a été refusé le choix du compositeur ou du « final-cut », ce qui, à lui et à d’autres, lui laissa un goût amer, une profonde déception.
Les désaccords étaient tels que la sortie du film fut négligée. Il ne sortit que dans sept salles sur le territoire américain, au Kansas et en Alaska, juste pour être éligible à des droits de diffusion sur le réseau de chaînes HBO. Pour un budget (déé) de 2 millions de dollars, le film ne remporta que 5101 dollars au box office américain, mais près de 136 000 entrées chez nous et 36 000 chez nos voisins allemands, c’est déjà ça.
Heureusement, depuis le film va mieux, merci pour lui. Il a acquis une nouvelle renommée, bien que fragile, puisque le mélange des genres du film peut désarçonner. Pourtant, malgré tous les aléas de la production, le film est solide, plein de bonnes idées, de bonnes intentions. Il possède ce dont peu de films peuvent se vanter, une personnalité, faussement noire, gentillement loufoque. Si Sam Raimi et les frères Coen avaient eu encore plus de libertés, on ne peut que rêver ce à quoi ça aurait pu ressembler.