Déjà, quelle affiche extraordinaire ! Et elle ne ment pas sur le plan esthétique : ce film est une splendeur. Si vous aimez Klimt, l'Art Déco ou Nouveau, les Symbolistes ou les Préraphaëlites, vous serez gâtés. Maquillages, robes, bijoux, jardins, fleurs, décors intérieurs, tout est réuni pour flatter les rétines. En même temps, cette beauté omniprésente a quelque chose d'exacerbé, d'étouffant, de trop parfait. On est à la limite de la surcharge. Les chevelures et les chapeaux sont énormes, les maquillages sont exagérés. On sent qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que cette splendeur vire à l'enfer.
Et là aussi, l'affiche annonce la(les) couleur(s). La mort et la folie rôdent dans ce paradis. Ça commence par la mort d'un père qui lègue la plus grosse partie de l'héritage à sa fille cadette Klara. Viktoria, la soeur aînée, décide alors de l'empoisonner.
C'est évidemment cette soeur aînée brune au visage dur (elle est maquillée comme une méchante de Disney) qui va occuper le centre de l'histoire. Ce qui est intéressant, c'est que sa haine pour sa soeur n'est pas seulement due à l'injustice du testament. On se rend vite compte qu'elle est jalouse de sa soeur sûrement depuis longtemps, et particulièrement de son succès auprès des hommes. Klara est rousse, lumineuse et innocente.
Je suis étonnée de ne pas trouver dans les autres critiques l'élément le plus important sur Viktoria : elle est très frustrée sexuellement et de nombreuses scènes le montrent clairement. Il y a d'abord cet incroyable générique qui regorge de symboles sexuels féminins évidents. Etonnant que le réalisateur ait eu le droit de le garder. En tout cas, c'est un chef-d'oeuvre dans son genre. Beaucoup de scènes ou d'allusions renvoient à la sexualité perturbée de Viktoria.
Elle est à la fois frustrée et obsédée. Il y a une scène où elle se dénude dans sa chambre, en sachant qu'un ouvrier l'observe derrière la fenêtre. Dans d'autres scènes, c'est elle la voyeuse. On la voit observer à distance les ébats d'une domestique avec un homme dans son jardin, ou dans une autre plus longue, regarder ses servantes se baigner nues dans la mer. A chaque fois, ces scènes se terminent par la honte ou l'envie de détruire ce qu'elle n'a pas.
On ne sait plus ce qui, de sa frustration sexuelle ou de sa cupidité, attise le plus sa haine. Les deux pulsions semblent inextricablement liées et la poussent à l'assassinat.
J'avoue que j'ai appris après que c'était la même actrice qui jouait les deux soeurs. Les maquillages sont tels que je ne m'en étais pas aperçue ! Ça accentue le côté schizophrénique de Viktoria et permet une relecture intéressante. Les deux soeurs existent-elles vraiment ? Tout cela n'est-il pas qu'une plongée progressive de Viktoria dans la folie ?
A ce propos, j'aime beaucoup la mise en scène très libre de Herz, comme cette caméra subjective pour la chatte. Elle donne parfois l'impression d'offrir une vision perturbée, déformée de l'environnement, comme si elle exprimait la schizophrénie de Viktoria.
Le film porte le nom de la chatte aux yeux bleus de Viktoria. Elle est le seul témoin de la haine de sa maîtresse et de ses projets mortifères contre sa soeur. Elle est aussi une des victimes accidentelles du poison acheté par sa maîtresse. Elle disparaît donc pendant une bonne moitié du film, mais réapparaît à la toute fin, comme d'autres "victimes".
C'est à cause d'elle que la fausse pendaison de sa maîtresse réussit finalement. Elle serait donc l'instrument d'une justice divine.
L'intérêt de ce film va donc bien au-delà de sa spectaculaire beauté formelle. Vu le contexte politique dans lequel il a été conçu, ce film reste étonnant aujourd'hui, par la liberté de sa mise en scène et par sa façon d'aborder frontalement certains tabous comme l'assassinat intrafamilial et la frustration sexuelle féminine.