Il est peu dire que "Monsieur Verdoux" reçut un accueil glacial à sa sortie aux USA en 1947. Boudé par le public, démoli par la critique. Il y a bien sûr le ton grinçant et inattendu du film, mais c'est surtout en raison de l'image de Charlie Chaplin, qui s'était profondément écornée dans les années 40. Entre d'un côté, des procès et affaires de moeurs. De l'autre, des accusations de communismes. Heureusement, le film a largement été ré-évalué par la suite.
"Monsieur Verdoux" est une relecture de la célèbre affaire Landru. Idée suggérée par Orson Welles à l'origine (!). Chaplin incarne ainsi, dans la des années 30, un ancien banquier devenu tueur en série. Il a fait un véritable business de son activité, consistant à voler puis liquider de riches femmes.
Le film est visuellement plutôt sage, et contient même encore des tics du cinéma muet : ces regards face caméra, ces longs plans en 4:3. Mais l'intérêt est plutôt dans le jeu et l'écriture.
Charlie Chaplin livre un oeuvre très provocatrice pour son temps. Il parvient à mélanger des scènes très noires de meurtres, avec d'autres beaucoup plus cyniques, voire joviales. Jusqu'à rendre sympathique ce tueur en série ! Un équilibre très délicat, que l'acteur-réalisateur parvient à tenir avec brio, loin de son personnage de Charlot qu'il abandonne ici complètement.
Car au milieu de tueries, Chaplin fait des mimiques mielleuses de séducteur raffiné, se laisse aller au burlesque improbable, ou au comique de situation. En particulier, ses nombreuses tentatives de liquider l'exubérante Martha Raye seront les moments les plus drôles.
Le réalisateur va même plus loin dans l'audace, faisant de "Monsieur Verdoux" une véritable charge politique contre le capitalisme américain. Légère au départ, puis prenant de plus en plus de place dans le récit. Présentant les tueries comme un business modèle, soulignant l'omniprésence de la bourse, ou le cynisme des industries d'armement à la veille de la guerre. Guère surprenant que les accusations de communismes n'ont pas cessé ensuite !