"Les histoires d'amour finissent mal, en général" (ou "Rien ne sert de courir...")

Les gens de ma génération - les boomers, quoi - se souviennent avec nostalgie de leur découverte du "premier Mission : Impossible", réalisé en 1996 par l'un de nos réalisateurs cultes (avec Carpenter et Cronenberg), Brian de Palma. Un monument d'intelligence et de complexité, avec une scène destinée à entrer directement au Panthéon du 7ème Art (celle où Ethan Hunt flottait au dessus de l'ordinateur qu'il devait pirater, bien sûr). Ce film renouvelait une série télé (un feuilleton, comme on disait alors) bien aimée, et rendait pour la première fois crédible un jeune acteur hollywoodien qui avait tendance à nous irriter, Tom Cruise.

Trente ans plus tard, on en est là : devant une catastrophe quasi totale, durant trois mortelles heures, sans scénario intelligible, réalisées sans aucun talent, citant sans rime ni raison des scènes des films précédents pour nous faire croire qu'il y avait un fil conducteur dans la saga M:I. Devant un film qui répète sans aucune imagination des concepts déjà maintes fois déclinés, des dilemmes moraux usés autour du sacrifice, de la loyauté, du courage qu'il faut pour ne pas suivre les ordres de sa hiérarchie, pour ne pas croire en un futur déjà "écrit". Soit un vaste "bullshit" sans profondeur ni pertinence par rapport à l'état actuel du monde et aux menaces réelles qui pèsent sur la démocratie et sur les sociétés humaines.

Trente ans plus tard, Cruise n'est plus qu'un boomer déé, comme nous, mais son obédience à la secte scientologue l'empêche de nous livrer le film nostalgique / dépressif qui aurait pu faire une belle conclusion à la course folle de son personnage à travers les grandes cités, à travers les grands espaces de la planète. Puisque toutes les histoires d'amour finissent mal, on aurait aimé que Cruise et son âme damnée, le médiocre McQuarrie arrêtent de "faire semblant", et permettent à Hunt de nous regarder droit dans les yeux (comme l'affiche le laissait espérer) pour nous er un vrai "message", d'être humain à être humain, sur la résistance nécessaire aux mensonges qui nous noient (et qui ne sont pas, non, pas du tout, le fait de l'Intelligence Artificielle comme Final Reckoning s'entête à nous le faire croire).

Alors, soyons justes, il y a, au milieu de ces trois heures horriblement ennuyeuses tellement tout y est grotesque et invraisemblable, fournies en dialogues creux où les personnages se partagent les morceaux de phrases de manière risible (une fois qu'on a repéré ça, impossible de rester sérieux !) et en bastons épuisants, UNE BONNE SCENE : celle du sous-marin, soit une jolie demi-heure de suspense basique mais efficace, qui rappelle ce que Mission : Impossible pouvait être à ses bonnes heures. Et puis ensuite, UNE SCENE DE CASCADE, qui n'a guère d'intérêt scénaristique et dure bien trop longtemps, mais qui IMPRESSIONNE, et confirme la triste vérité qui nous avait été dévoilée lors du film précédent : Cruise s'ennuie lui aussi tellement que tout ce qu'il veut faire, c'est inventer des cascades à chaque fois plus dangereuses, histoire sans doute de trouver le sens de sa vie qui lui échappe de plus en plus au fur et à mesure que les années ent.

Ce qui est dommage, c'est qu'un tel naufrage final ternit rétrospectivement le plaisir qu'on a pris au fil des années devant les bons films de la saga qui ont précédé, et donne raison - in extremis - à tous ceux qui se moquaient de nous quand nous défendions M:I.

Peut-être que le mieux qui puisse arriver, à ce stade, c'est que, alors qu'Ethan Hunt a disparu au milieu de la foule massée à Trafalgar Square, avec dans sa main (soit disant) la pire menace que l'humanité ait connue, ce Final Reckoning ne soit pas le dernier film de la saga. Et que dans cinq ans, aux mains d'un vrai réalisateur de talent, Hunt revienne pour un film de 1h30 maximum, sans aucune cascade, pour un budget comparable à celui d'une série TV moyenne, qui nous parlerait enfin des choses qui sont là, derrière les masques de latex, derrière les mensonges des puissants, derrière les armes que l'on brandit à tout bout de champ. Tom Cruise ne courrait pas. Car, on le sait bien : rien ne sert de courir, il faut partir à point.

[Critique écrite en 2025]

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le 25 mai 2025

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Eric BBYoda

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