Partant du réalisme le plus strict, avec deux hommes assistant à la mort de leur père dans une chambre d'hôpital, "Men and Chicken" va dériver jusqu'au fantastique le plus débridé, en une sorte de dérapage savamment contrôlé, nous faisant glisser de situations de plus en plus loufoques à des épisodes de plus en plus délirants, nous préparant à l'improbable fin.
La disparition liminale étant, comme parfois, accompagnée de dévoilements, les deux frères vont se retrouver projetés dans la recherche de leur père biologique, presque centenaire, celui qu'ils avaient considéré comme tel leur ayant révélé, post mortem, qu'il ne leur avait transmis, en réalité, que son nom. Cette quête les conduira droit dans une île danoise d'où toute vie semble s'être peu à peu retirée, longue terre plate dont les deux parties ne sont reliées que par un isthme ombilical. Lieu à la fois originaire et ultime, constamment menacé d'un anéantissement progressif qui tétanise le maire de la localité et le dispose à toutes les compromissions. Lieu où les interdits relèvent d'une logique ablement kafkaïenne et où le duo fraternel va progresser de découverte en découverte, la toute première d'entre elles consistant en la rencontre plutôt frontale d'une fratrie insoupçonnée.
La performance de Mads Mikkelsen est à souligner, tant il pousse loin l'autodérision, affublé d'un bec de lièvre, d'un nez et d'une chevelure retouchés, et d'une armée de tics qui le propulsent, corps raide et démarche spasmodique, vers les "filles" à la recherche desquelles il sera tout au long du film, ne s'interrompant que pour s'adonner à des masturbations aussi compulsives que régulières.
La figuration d'une folie familiale, décuplée par le fait que la petite troupe de grands enfants sauvages ait crû en meute, tient du génie. On regrette seulement que les dernières minutes du film apportent à tout ce délire créatif une explication qui, pour tenir du fantastique, n'en introduit pas moins une forme de rationalisation qui vient limiter et contenir le jaillissement imprévisible auquel on assistait jusqu'alors. En revanche, le jeu des acteurs achève de prendre sens et on ne l'apprécie alors que davantage.
Si bien que l'on ressort ravi et transporté de la projection, souriant ou riant encore longtemps, lorsque reviennent à l'esprit certains détails, désopilants à force d'être décalés, du plus belge des films danois.