Ceux qui courent dans le noir
Une rue, un décor, un tunnel noir. Paris brûle sous la nuit. Un sombre ciel la surplombe. Une comète e au-dessus d'elle, au milieu des étoiles, boules lumineuses perchées sur un mur de noir, toujours.
C'est Alex qui court, torse nu, pieds nus, sur un trottoir, qui va vite. Qui renverse une voiture, se bat, se tape, hurle, chuchote pour ses yeux. Pour les yeux et la bouche d'Anna, qui le fuit, le fait dos, lui dit non, lui dit oui, l'aime et ne l'aime plus. C'est la couleur rouge qui envahit les murs noirs de la rue. C'est Leos Carax, le voyeur du quartier, qui colle son visage contre la vitre. Qui chaque soir la regarde, perché à ses lèvres, comme ferait le cinéaste, qui ne les lâchera plus, le temps d'un film.
Carax filme l'inexplicable jeunesse. Ses fulgurances incompréhensibles, sa douleur vive et gaie, son doux désespoir. Le Sida est apparu. Plus de repères, un amour hésitant, qui va vite, qui détruit, que l'on cherche et redoute à la fois, glisse sur leurs lèvres, leurs corps, leurs nuques.
Alors, il faut courir, courir, jouer de ses mains, de sa voix. S'émerveiller une dernière fois de la beauté du monde, de la neige qui e et des étoiles de l'été. Doucement, Haley arrive, caresse ces silhouettes noyés dans un décor mélangeant bande dessinée et expressionisme. La couleur rouge est là, à chaque plan, discrète, prête à exploser. Cette couleur, c'est l'amour, l'amour qui va vite, l'amour qui court, s'arrête, repart. Carax sait filmer ce qui n'est pas à filmer, sait donner la parole à ceux qui se taisent. Sait filmer l'éphémère, sait filmer un doute, un dialogue abscons, une voix qui s'élève de nulle part, sinon des ténèbres, pour dire l'amour et ses douleurs de toutes les façons. Son film est un témoignage autant qu'il est fantôme immortel d'une époque. Sa voix singulière et précieuse, Mauvais Sang la sublime dans tout gros plans, visages, objets, vêtements et corps ; dans un matérialisme apparent qui fuit, doucement, tel un météore lancé, solitaire et à toute vitesse dans le ciel nocturne, vers l'abstraction des sentiments.