Tout semblait réuni pour que Sofia Coppola se prenne les pieds dans le tapis : la lourdeur de la reconstitution, le regard hollywoodien sur l’histoire de , l’ambition peut-être démesurée après le tact de ses univers intimes qu’étaient Lost in Translation. On s’attendait à tout, notamment au regard rock’n roll, à l’anachronisme offert par cette bande-annonce qui superposait de la new wave sur des parties de chasse du XVIIè siècle, à la place subreptice accordée à une paire de converse au milieu des toilettes de la reine : petits tics factices, pose tendance agaçante masquant le vide de regard sur le sujet ?
On s’attendait à tout, et a priori, on n’a rien. C’est bien là ce qui fascine.
Marie-Antoinette offre un exercice d’équilibriste d’autant plus virtuose qu’il cherche à masquer ses efforts pour ne pas basculer dans les deux gouffres qui le ceignent : la reconstitution momifiée ou le film pop du moment. En optant pour le point de vue de la jeune adolescente débarquée d’Autriche, Sofia Coppola impose un regard frais, fasciné certes, mais non sans recul sur ce monde clos et codifié qu’est Versailles. Tout se joue dans l’opposition entre la candeur timide de la protagoniste et le nœud de vipère dans lequel elle doit trouver sa place. De ce point de vue, le roi, irablement interprété par Jason Schwartzman, est l’allié idéal : hébété, terrorisé par la place qui lui revient, il ploie sous la charge avec la distinction que le code impose.
Apparemment, Marie-Antoinette ne raconte rien d’autre que cette oisiveté, et le film semble souvent se perdre dans un clip qui aligne les sommaires où la débauche de raffinement vestimentaire, gastronomique et mondain confère à l’écœurement. Ce qui intéresse la réalisatrice, c’est moins ce dernier que la métamorphose de sa protagoniste au de ce monde si singulier. Kirsten Dunst, de ce point de vue, est tout à fait convaincante dans sa métamorphose progressive ; de l’adolescence à l’insouciance d’une vie de fête permanente, de l’initiation d’un mari frigide à la captation du code à son profit, la trajectoire est saisissante, et renvoie aux questions universelles de l’individu face à des enjeux qui le déent, puis le dévorent : le succès, la richesse, les excès d’une vie à l’écart du réel. Même si elles sont un peu longues et répétitives, ces scènes de bals, de festins et de nuits blanches sont habitées d’une vraie tonalité, mélange de fougue, d’esprit rock et d’une mélancolie sur cette inconscience de ces nantis en vase clos. Ce basculement opère avec le même tact que ce que le protocole exigeait au départ, et c’est bien là qu’on reconnait la patte Sofia Coppola : cette délicatesse dans la démonstration, ce sentiment de l’évidence d’un temps qui e et des conséquences inéluctables qu’imposent les circonstances. Dans ce parcours apparemment sans véritable accroc, sans saillie, on traite avec la même pudeur la mort d’un nouveau-né et les illusions sentimentales de l’adultère, on regarde avec une satire tendre les amours de la reine pour la nature en vase clos qu’elle recrée dans son petit Trianon, où les fermières véritable lustrent les œufs avant qu’elle ne vienne les ramasser.
L’Histoire n’est qu’un arrière-plan qui vient rappeler des enjeux qui ont toujours déé les individus. Les banquets se succèdent et la clameur du peuple, en off, s’invite. Une fois encore, Sofia Coppola refuse le climax que suppose pourtant la biographie de son héroïne : c’est sur l’adieu à un monde fastueux que se conclut le récit, et les visages dignes de deux jeunes figures devenues des personnages. La réalisatrice n’avait pas d’autre ambition, et de ce point de vue, a tenu ses engagements, elle-même en retrait volontaire face au projet pharaonique auquel elle s’attelait, pour y insuffler ce supplément d’âme qui la caractérise, cette « chanson grise » chère à Verlaine.