Avec Limonov, la ballade, Kirill Serebrennikov ne signe pas un biopic au sens classique du terme. Il compose une sorte d’opéra punk où la vie d’un homme (poète russe, provocateur invétéré, écrivain exilé, figure politique controversée) devient prétexte à l'explosion formelle. Derrière la mécanique brillante, quelque chose vacille : une pensée politique, une ligne éthique, un trouble volontairement entretenu ?
Dès les premiers plans, Serebrennikov affiche la couleur. Les temporalités s’entrechoquent, les formats se succèdent sans transition (Super 8, VHS, iPhone, caméra thermique), les ruptures de ton s’accumulent. Le style baroque du cinéaste, déjà repéré dans La Fièvre de Petrov, s’intensifie ici.
Dans le rôle-titre, Ben Whishaw, me semble en porte-à-faux. Le choix d’incarner un personnage aussi rugueux, charnel et politique avec un corps fluide, une diction tenue, un regard doux, crée une tension permanente. Si certains y verront une manière de désamorcer toute lecture héroïque de Limonov, d’autres y liront une dilution du trouble : Whishaw tempère, polit, lisse une figure qui, précisément, n’a cessé de provoquer, de déborder, d’échapper.
Ce décalage (culturel, linguistique, physique) n’est jamais interrogé par le film. Il est même intégré à sa mécanique, comme si l’incarnation n’était plus un enjeu, mais un effet de style de plus. Or, dans un film qui prétend explorer la vie d’un homme à travers ses incarnations successives, cette absence de chair finit par peser.
Le montage complice de cette désorientation finit par produire cette déréalisation : tout est mis sur le même plan, comme si la violence, la poésie, le fascisme, l’exil, l’amour et la haine appartenaient au même flux spectaculaire.
Le risque est immense : celui de faire du destin de Limonov une simple performance, un objet cool, une figure rock.
Cependant, si Serebrennikov ne juge pas son personnage. Il ne l’excuse pas non plus. Il le montre. C’est là la ligne de crête périlleuse qu’emprunte le film : ne jamais choisir entre l’iration et la mise à distance. En choisissant de ne jamais affronter la part la plus sombre de Limonov (son nationalisme viril, son flirt avec les discours extrémistes, ses contradictions) le film donne l’impression de prendre la pose du complexe, sans assumer le travail de la complexité.