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Dans une Sicile criblée de soleil, de secrets et de silence, un ancien politicien s’adonne à l’art délicat de la correspondance avec un mafieux reclus. Ils s’écrivent, s’épient, se manipulent — à coups de belles tournures et de perfidies bien enveloppées. Et pendant que le monde tourne en story Instagram, eux préfèrent les lettres, les vraies, avec du papier, de l’encre et de la rancune à l’ancienne. Alors oui, Lettres siciliennes, c’est lent. C’est même contemplatif, parfois un brin comé. Mais dans cette lenteur, il y a une densité narrative qui ferait er une conférence de Foucault pour une pub TikTok. Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ne filment pas : ils dissèquent. La Sicile devient ici un personnage à part entière, rongée par la culpabilité collective et par l’héritage d’un silence mafieux trop longtemps intériorisé. C’est poussiéreux, oui, comme un vieux parchemin jauni, mais pas sans charme.
Toni Servillo — que dire ? Un monstre. Un acteur capable de te faire frissonner avec un simple haussement de sourcil. Il incarne l’ancien politicien comme s’il avait relu toute l’histoire de l’Italie entre deux prises. À ses côtés, Elio Germano, plus mutique, plus trouble, joue la carte du monstre en cavale avec un aplomb déroutant. On ne sait jamais s’il est prêt à se repentir ou à rejouer Le Parrain, version muette et sous caféine.
Mais venons-en au cœur : les lettres. Ces échanges deviennent des scènes de combat à la plume. Des duels feutrés, élégants, cruels parfois. Et là, magie : la voix off ne devient pas une béquille paresseuse, mais un ressort dramatique subtil, presque sensuel. On se surprend à tendre l’oreille. À savourer chaque mot. À croire de nouveau au pouvoir de la langue — de la langue italienne surtout, qui ici chante, menace, enlace.
Est-ce que tout fonctionne ? Non. Certains flashbacks tombent à plat, quelques effets de mise en scène frisent la coquetterie. Mais est-ce que ça gâche l’expérience ? Pas une seconde. Parce qu’aujourd’hui, un film qui ose le silence, le hors-champ, le rythme mesuré, c’est presque un acte politique. Une subversion douce. Un doigt d’honneur soyeux à la dictature de l’immédiateté.
Et puis, il y a cette étrange sensation, en sortant de la salle : l’envie d’écrire. Pas un post, non. Une vraie lettre. À un ennemi, à un ami perdu, à soi-même. Quelque chose entre Machiavel et Marguerite Duras. Bref, Lettres siciliennes, c’est peut-être pas un chef-d’œuvre. Mais c’est une claque feutrée, une mélancolie écrite à l’encre noire. Et dans un monde saturé de bruit, ce film murmure. Et on tend l’oreille.