Mettre en cadre le corps banni

[Mouchoir #17]


Trois bouts de ficelle et quelques idées. Les Sœurs de Gion n'a besoin que de deux décors abstraits : quelques intérieurs dénués de richesses ainsi que des ruelles étroites et sombres. Pourtant, dans cette carence de décors, pas un seul plan ne se répète ; on encercle. C'est là qu'on touche de près à l'art de Mizoguchi qui traduit surtout les nuances, la couleur, l'atmosphère d'une scène, d'une relation, au rythme de ses personnages qui se déplacent comme dans de vraies esquisses, et dont on essaye de faire le tour, toujours différemment. Et il y a là un équilibre fin trouvé, entre peinture et théâtre.


Lea spectateurice pose ainsi son regard sur ces silhouettes qui semblent faire partie du décors, avant de suivre la dynamique construite entre premier et dernier plan, espace gauche et espace droit, etc. Ressentir la scène s'assimile ainsi à prendre le temps d'en comprendre littéralement tous les recoins, comme si une vérité se cachait dans ce quotidien reconstitué, chamboulé par le récit, dont la clef se situe au travers de ces figures de banni·e·s qui peuplent si souvent le cinéma japonais, celleux qui parlent une langue rituelle muette, celle des corps encadrés pour mieux faire ressortir leurs intériorités, pictua-ritualisés.



« Il faut décrire l'homme, mettre en image le corps humain. Décris-moi des types implacables, égoïstes, radins, sensuels, cruels... Il n'y a que des hommes dégueulasses ici-bas. »



Kenji Mizoguchi, in Yoshikata Yoda, Souvenirs de Kenji Mizoguchi, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, Paris, 1997.



6,5.


[16/03/2018]

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le 12 avr. 2022

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Cynique de Bergerac

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