Les Maudites
6.5
Les Maudites

Film de Pedro Martín Calero (2024)

Les Maudites par Spectateur-Lambda

Vu en avant première au cinéma "Lumière Terreaux" le 12 mai 2025.

Sortie en salle le 21 mai 2025.


Je ne suis pas un bon client du cinéma d'horreur.


Mon rapport intime avec ce genre spécifique est consécutif des premiers liens que j'ai tissé avec lui, qui peuvent se décrire en deux axes. Le premier que je qualifierai d'héritage éducatif. En effet mes parents n'ayant jamais été très regardant quant aux limites d'âges préconisées pour la découverte des films, à l'exception notable et saine du porno, mes sœurs et moi pouvions sans problème louer au vidéo club du coin les films les plus gores et les histoires les plus horribles. Néanmoins ma mère mettait un point d'honneur à nous expliquer et nous répéter que le cinéma c'est du faux. Cette précaution maternelle a fait que j'ai ancré en moi - et je suis curieux en écrivant ces lignes de savoir si c'est également le cas pour mes sœurs - cette entrave à croire et donc à être apeuré par un film.

Le second est lié davantage au comportement que nous adoptions enfants avec mes frangines face à ces films, que l'on se ait en riant à gorges déployées et en rejouant ensuite entre nous les scènes les plus marquantes.


Ces deux ancrages font qu'encore aujourd'hui, rares sont les films horrifiques qui ne suscitent pas en moi une réaction de rires et encore plus rares sont les films qui éveillent en moi l'effroi ou la peur. Etrangement c'est plutôt du côté de films qui vont aborder des thématiques ou vont incarner des personnages issus du réel que je vais avoir tendance à trouver la sensation et le sentiment de peur.

Je ne suis donc pas un bon client du cinéma d'horreur. Les monstres les plus cruels, les bogeymen les plus sadiques, les lieux hantés les plus sombres, tout ce qui est sensé provoquer cette montée d'adrénaline chez le spectateur n'opère pas. Je n'arrive pas à me laisser faire, je n'arrive pas à débloquer ma raison et laisser émerger un subconscient plus sensible à cette émotion. Ce qui est à bien y réfléchir curieux, quand les thèmes surnaturels et fantastiques, parviennent eux à m'embarquer et à me faire croire en la véracité tout aussi hasardeuse de leurs mondes et à ouvrir mon imaginaire.

Il y a longtemps que je me suis fait une raison et que je vais découvrir un film d'horreur pour y trouver autre chose. Un divertissement au sens premier du terme, un terreau à des développements de concepts et idées plus profonds, l'illustration en paraboles et symbolismes d'un problème sociétal ou l'introduction à un nouveau cinéaste et à sa grammaire de réalisation.


Que "Les maudites" ait suscité chez moi des vrais moments de terreur absolue, de pure peur et par conséquent notable. Oui j'ai ressenti, sans doute pas pour la première fois, mais certainement pas depuis très longtemps, une véritable sensation de frayeur devant un écran et face à un film pensé pour provoquer cela chez son spectateur.


Dans un impressionnante introduction, une jeune femme opère dans une boîte de nuit madrilène au rythme techno du "Crispy Bacon" de Laurent Garnier - rien qu'avec ce choix musical le film emportait ma sympathie - un lâcher prise qu'on devine quasiment thérapeutique qui se mue en d'inexplicables et inexpliquées pulsions de violence autodestructrice. En une scène le film avertit son auditoire, ça va faire mal, on va souffrir.


Enlaçant sur différentes temporalités et en deux lieux distincts, l'Argentine et Madrid, les destinées de trois jeunes femmes qui semblent liées entre elles par quelque chose d'indéfinissable mais d'oppressant et de suffisamment puissant pour influer sur la psyché de ces victimes qui s'ignorent. Quand à Madrid, Andrea perçoit les cris de femmes en détresse dont elle ne peut identifier la source ou certifier la réalité, le phénomène fait écho à ce qu'a vécu comme expérience Marie à La Plata en Argentine trente ans auparavant quant à Camilia, elle semble être la seule à pouvoir comprendre pourquoi et par quoi ces femmes sont reliées.


L'entité qui les obsède, qui les hante n'a pas de matérialité concrète qui permettrait qu'on la voit à l'œil nu, sa présence ne se détecte qu'à travers les photos, les vidéos et les écrans. Dévoilant son existence par petites touches ses premières évocations sous formes d'ombres sur des photos, de flous dans l'arrière plan d'un arrêt sur image fait sur une conversation "what's app" m'ont fait penser au chef d'œuvre de la manipulation par l'image qu'est "Blow-up" de Michelangelo Antonioni.


Le réalisateur d'un geste assuré joue avec nos nerfs et il pousse même le vice avant de concrétiser et pour Andrea et pour le spectateur la révélation de ce qu'est cette ombre malsaine et omniprésente, de nous faire croire à l'imminence d'un "jump scare". Tous les ingrédients sont là, la bande originale suggère une montée en tension, le montage et le récit s'accordent pour nous dire "attention" un gros chat va surgir sur la table et tu vas sursauter" on est même légèrement blasé d'avance et on se prépare. On se prépare et puis rien. Le rythme se calme, la tension redescend, tout comme pour Andrea qui doucement s'endort et là sans un bruit, sans surenchère "il" apparait et c'est proprement terrifiant. Dans sa nature à la fois surnaturelle et humaine, dans sa gestuelle perverse, dans sa vieillesse faussement fragile, dans son incarnation décharnée et universelle des violences faites aux femmes.


Car oui, c'est bien de cela qu'il est question dans "les maudites" à travers le lien qui unit ces trois femmes, c'est tout ce que subissent les femmes à l'échelle de l'humanité qui est mentionné. Cette entité pourra aussi bien être perçue comme le mari violent, que le père abusif ou l'inconnu au comportement problématique. Elle pourra tout autant raconter le patriarcat que l'oppression.

Pedro Martin-Calero parvient à conjuguer un certain classicisme à un langage cinématographique ultra moderne, jouant de façon sidérante sur l'évolution des images et notre rapport à elles, leurs vertus révélatrices de dangers et l'inamovible apparence de ces dangers qui semblent se répéter depuis toujours, la malédiction séculaire des femmes.


Je lis beaucoup de réactions qui comparent le film à "It Follows" que je n'ai pas vu pour confirmer mais cette référence revenant souvent, je vous la donne car j'imagine qu'elle a une certaine pertinence. En tout cas pour moi c'est une recommandation enthousiaste qui m'anime.

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le 15 mai 2025

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Spectateur-Lambda

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