On nous mâche le travail. Depuis une décennie au bas mot, le cinéma nous prend pour des légumes, des disques durs tout justes bons à engranger informations et idées préconçues, prémâchées, prédigérées. Sur-explication et symbolique facile sont monnaie courante, norme établie. Au sortir d’un film prétendument engagé, le spectateur chemine sereinement vers son foyer, lesté des pensées du scénariste/réalisateur/producteur (rayer les mentions inutiles) mais le cœur apaisé et le cerveau en veille. Le fourmillement intellectuel ou les réflexions personnelles qu’aurait du engendrer pareille œuvre sont aux abonnés absents. En un sens, quel bonheur. Rien n’est plus agréable que ce doux sentiment de facilité, cette illusion de sécurité. Pourquoi s’épuiser à réfléchir quand un bon samaritain peut le faire pour vous ?
Heureusement, il y a le cinéma belge.
Et Bouli Lanners.
Loin d’offrir du réchauffé à son public, le belge s’obstine à provoquer la réflexion, à élargir – à l’image de ses incroyables plans larges sur la Wallonie – l’espace intellectuel. On ne sera pas surpris, en conséquence, de voir ses films taxés de vacuité, accusés de ne mener nul part. Quel sera le destin de ces trois garçons ? Que sera leur avenir proche ? Et lointain ? Réussiront-ils dans la vie avec de si mauvaises cartes servies au commencement ? Sont-ils isolés ou représentent-ils une génération dans son ensemble ?
Où donc est é l’heureux dénouement du film ? Celui qui m’expliquera posément, qui répondra à toutes mes interrogations, pour que je puisse dormir tranquille ce soir.
Le format atypique des films de Lanners apparaît, dès lors, comme une évidence. Les vingt minutes manquantes pour rallier une durée Hollywoodienne sont celles habituellement consacrées à l’abrutissement du public.
La prise de risque est encore accrue par le choix courageux de donner les rôles principaux à des adolescents, d’illustres inconnus qui plus est.
Ces derniers s’en tirent remarquablement bien, parfois excessifs mais réellement convaincants.
Comme leurs improbables aventures. Excessives elles-aussi, dénuées de réalisme, elles peuvent occasionnellement rebuter, d’autant qu’elles contrastent avec la douce et réaliste mélancolie du film. Mélancolie qui identifie immédiatement Bouli Lanners. Après seulement trois films derrière la caméra, le réalisateur possède déjà une identité forte, visuelle, sonore et profondément personnelle. Incroyablement délicat, il filme les paysages sauvages de la Wallonie comme personne, lui confère une forme d’éternité.
Les géants n’est pas parfait, loin s’en faut. Mais il est porteur d’un message fort, irablement bien amené par un réalisateur talentueux. Il est de ces films qui marquent pour longtemps, qui forcent à réfléchir, à se questionner. Ce cinéma est précieux et rare. Authentique.