Western de John Ford avec son mélange harmonieux de génie comique et de tragédie.

Les acteurs de John Ford, ceux qu’il a aidé à gagner les sommets de leur art personnel, ne lui en voulaient pas de les avoir maltraités pour tirer le meilleur d’eux-mêmes. Dans le documentaire de Peter Bogdanovitch « Directed by John Ford », de 2006, James Stewart raconte, pince sans rire, comment il a cru en être protégé pendant le tournage de Liberty Valance, au grand dam de John Wayne (victime récurrente de Ford depuis ses débuts avec lui), jusqu’à ce qu’il subisse à son tour la colère du maître, imprévisible et injuste.

Dans Les Deux Cavaliers, les deux premières séquences montrent son génie comique combiné avec une exposition subtile de la psychologie des deux personnages principaux, James Stewart et Richard Widmark, le premier en marshall cynique et profiteur, mais capable d'autodérision, et le deuxième en militaire intègre et sarcastique mais amical. Le grand plaisir des acteurs - rarement aussi palpable - est très communicatif. 

Ensuite, la thématique est celle du besoin poignant de colons, très démunis, de retrouver des proches (femme, mère, ou enfants) enlevés par des comanches depuis des années. Les situations évoquées sont des illustrations de ces tragédies et de leurs conséquences sur les familles et sur les enfants, y compris ceux qui sont ramenés. Elles sont la dramatisation dans la fiction de situations qui furent assez fréquentes dans l’Ouest. (Dans la réalité, ce fut souvent bien pire que ce que montrent les films, y compris celui-là).

Pour les chefs Quanah Parker et Stone Calf, ici mis en scène comme protagonistes, les personnages ne sont que des échos lointains des figures historiques.

Le premier, Quanah échange dans ce film des enfants kidnappés contre des fusils. Dans la vraie histoire, il était le fils d’une blanche (Cynthia Parker) enlevée à 9 ans avec son jeune frère, et les péripéties rocambolesques de cette famille indienne recomposée se déployerent sur plusieurs décennies, avec des allers-retours entre familles blanches et comanches et des manigances autour des traités de paix, trop complexes pour la trame d’un seul film. (Si les westerns paraissent souvent simplistes sur ces sujets, c’est qu' ils ne peuvent tirer qu’un seul fil dans des histoires enchevêtrées).

John Ford traite différemment cette complexité, non par la narration successive et réaliste de ces périodes, car son film n’est pas une saga. (Une approche factuelle interessante sera réalisée par Jack Jackson dans sa BD historique "Comanche Moon").

Ford la traite par la confrontation des émotions, variées et violentes, des personnages secondaires, des colons et des indiens, que le destin sépare ou que le destin réunit. (Il l’avait fait auparavant avec cette fois les personnages principaux, dans The Searchers, la Prisonniere du désert, en 1956, un des plus beau western de tous les temps). 

De même, il condense en quelques plans la figure de Stone Calf, joué par Woody Strode, et présenté comme un irréductible. Dans ce film ci, il meurt avec panache pour récupérer une femme blanche qu'il avait enlevée auparavant.

Mais en vrai, Stone Calf, qui vecut longtemps, ne fut pas le voleur d'une femme blanche. Il est resté dans l’histoire des guerres indiennes, non seulement pour ses exploits, mais pour une réplique fameuse, ironique, cinglante, adressée au général Sheridan (ou était-ce Sherman ?) lors de la négociation pour signer un traité : « Laisse pousser les cheveux à tes soldats, que nous puissions les scalper comme des hommes »...

Quand on revoit un film de John Ford, on comprend pourquoi les réalisateurs, de toutes les générations et de toutes les cultures lui rendaient hommage - des américains aux soviétiques - comme au meilleur d’entre eux. Qui peut faire des comédies, des mélodrames et des tragédies comme lui sait les faire, et cela dans un même film ? Qui peut nous faire sourire avec émotion, nous réjouir avec un moment hilarant, nous glacer avec une tragédie irréparable, revenir vers une romance puis nous tirer la larme à l’oeil avec du petit drame de tous les jours ?

Il n’ y avait personne d’autre, à part peut-être Kurosawa...

(Notule de 2019 publiée en mai 2025).

Remarque du jour : ... et Chaplin, complète à juste titre Abscondita.

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Michael-Faure

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