Si on aime le cinéma c'est aussi parce qu'il a la capacité de nous faire voyager là où on ne serait jamais allé, sans bouger de notre siège. On en entendait très rarement parler mais voilà que le même mois sortent au cinéma deux films en provenance de ce pays méconnu, le Kazakhstan. L'un d'un auteur qui a déjà fait ses preuves, Darezhan Omirbayev, et l'autre d'un jeune réalisateur qui fait là son premier essai de long-métrage. Et c'est là que l'on se rend compte que le cinéma, plus qu'un divertissement, peut jouer un rôle politique très fort.
Leçons d'Harmonie raconte l'enfer vécu par un jeune collégien, humilié et ostracisé par les autres élèves de son école. Pour comprendre les enjeux du réalisateur, arrêtons-nous un instant sur ce curieux titre : Leçons d'harmonie. Alsan, le héros du film, semble en effet toujours chercher le bon équilibre, entre ses tortures d'animaux, ses meurtres, et l'aide qu'il apporte à Mirsayin, ou à sa grand-mère. Malheureusement il ne le trouve jamais. Il a beau se laver compulsivement, ça ne n'expiera pas pour autant ses pêchers.
Le bon équilibre, force est de constater que le réalisateur le cherche aussi. On peut regretter que le cinéaste ne laisse aucun répit à son spectateur. Pas une once d'humour dans ce premier film qui s'avère un peu trop sérieux. Le film est pénible du début à la fin. Mais d'un point de vue formel, Emir Baigazin fait preuve d'un vrai sens du cadre et d'une réelle virtuosité. La leçon d'harmonie est peut-être ici, entre la beauté de la forme et la dureté du fond.
Mais pourquoi cette recherche d'équilibre est-elle au centre du film ? Baigazin dépeint un pays qui manque de cruellement de repères. Si l'établissement scolaire fourmille de déséquilibrés, c'est sans doute la faute au système d'éducation adopté par l'école. On y enseigne à la fois le parcours héroïque de Gandhi et des leçons militaires. On affirme même que l'argent est notre principale source d'énergie. Pas étonnant que l'enceinte soit devenu un haut-lieu du racket. Le parallèle avec les scènes d'amphi de L'Etudiant d'Omirbayev s'avère très intéressant. Dans ce film-là, les professeurs ne cessaient de dénoncer les dangers de l'Occident. Dans Leçons d'harmonie c'est bien l'argent qui est à la source de tous les problèmes.
Dans ces deux films kazakhs, les auteurs s'interrogent sur les contradictions de leur pays. Il y a d'une part cette volonté dans l'enseignement de se détacher de l'occident alors que les comportements des jeunes deviennent de plus en plus capitalistes, à l'image de Mirsayin, l'étudiant de la ville, avec son smartphone ou d'un autre élève qui affiche fièrement ses nouvelles Nike.
Dans L'Etudiant on parlait russe, dans Leçons d'harmonie, on parle kazakh. En deux films, on arrive à cerner les enjeux d'un pays en manque de repères. Omirbayev et Baigazin ont cette volonté commune de parler de leur pays et de mettre en lumière toutes ses contradictions. Entre Russie et Occident le Kazakhstan cherche simplement à trouver une harmonie.