Le verdict ? Plutôt clément, votre honneur...
Il y a quelque chose de fascinant dans ce verdict de l'immense Sidney Lumet. Voilà typiquement un film qui, tourné par un autre, pourrait revêtir les contours du machin tout moyen.
Mais le très grand Sidney sait s'entourer :
une batterie d'acteurs de haut vol (Newman, Warden, Mason, Rampling), un escadron de scénaristes aguerris (l'auteur du roman et David Mamet) et enfin une pleine fournée de ce qui constitue LA marque de fabrique du bonhomme : du talent.
La scène d'ouverture (qui sert en même temps de générique) est à ce sujet édifiante : Franck Galvin joue au flipper, seul, avec son verre de bière, devant une fenêtre laissant entrevoir un extérieur froid et un poil dépouillé. Au fur et à mesure que les inscrustes du générique se succèdent, le plan se resserre sur le profil de Newman pour finir sur une moue dubitative du poivrot qu'on devine. Pas un bruit autre que celui du flipper, pas une note de musique. Assurément, le type est au fond du trou et la journée ne devrait pas être meilleure que la partie qui se termine.
En un plan (somptueux) et une mimique (sobre), le personnage existe, le décors est planté, l'ambiance évidente. Magistral.
Et tout est à l'avenant de ce démarrage si pur (et presque parfait).
Voilà un film, et j'en reviens à mon point de départ, qui a tout ou presque pour susciter l'ennui : on sait dès le début où va l'histoire, comment elle va y aller, et pourtant, ce n'est qu'une succession de plaisirs, parce que tout est juste, tout est parfaitement interprété, maitrisé, mise en image.
Le scénario aborde plusieurs thèmes du film de tribunal traditionnel mais parvient à ne jamais tomber dans le cliché. D'abord parce que, et c'est un point de départ louable, l'intrigue reste mince : pas de meurtre, pas culpabilité inattendue à prouver. Il ne s'agit, au fond, que d'un homme qui se sert (quasi littéralement) de la détresse d'un couple pour essayer de se sortir du trou au fond duquel il s'est enlisé depuis trop longtemps.
Les rapports de force entre l'institution attaquée (un hôpital catholique avec pignon sur rue) et la partie civile est éblouissante de finesse. Les uns cherchent la moins mauvaise publicité possible en utilisant tout ce que l'aspect légal leur permet (et cette recherche résonne de manière très troublante et moderne) et les victimes sont tiraillés entre l'argent possible immédiat et le combat plus incertain du procès (la scène ou le mari apostrophe Galvin est en ce sens un grand moment). Entre la compensation financière et le sens général de la justice, la frontière est mince et là encore, on retrouve bien des thèmes qui traversent notre époque éthiquement troublée.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des qualités du film, l'issue du procès (connue d'entrée, je le répète) ne tient presque jamais sur les éléments qui nous semble importants, le témoignage clef étant invalidé. La réquisition de Galvin/Newman est un court mais précieux moment, pour ce qu'il ne s'appuie sur aucun élément factuel du procès, mais sur des valeurs bien plus humanistes et profondes.
Newman délivre là un de ses derniers grands rôles et est proprement prodigieux.
Un plaisir, mais aussi une leçon.