Déliquescence morale des états bourgeois

Une comédie soviétique muette, éminemment satirique, s'attaquant à la cupidité inhérente à l'humanité — et plus précisément à ceux qui vivent sous le joug du capitalisme. D'ailleurs "Le Procès des trois millions" commence en précisant que l'action se situe "dans un quelconque état bourgeois" et se terminera en précisant qu'un des proverbes les plus célèbres est "tous les chemins mènent à Rome"... Pour l'anonymat du pays, on reera. Yakov Protazanov adapte un roman italien "I Tre Ladri" et en reprend le contexte en présentant les trois principales figures, trois personnages incarnant trois facettes très différentes du voleur. Il y a tout d'abord Tapioca (Igor Ilyinsky), un sans-abri et pickpocket ordinaire, puis Cascarilla (Anatoly Ktorov), un cambrioleur séducteur d'envergure internationale portant toujours un smoking, et enfin Ornano (Mikhail Klimov), un banquier richissime et sans scrupule dont la pratique du vol s'inscrit dans les conduites acceptées par les institutions. Trois personnalités aux antipodes l'une de l'autre qui seront reliées à travers une histoire rocambolesque de vol d'une grosse somme d'argent, d'emprisonnement d'un voleur (pour le coup) innocent que toute la société vénérera dans l'espoir d'obtenir des faveurs en retour, et de procès grandiloquent.


Aucune trace du savoir-faire classiquement attribué au cinéma soviétique, zéro lyrisme, zéro technique de montage transcendante. Tout est rythmé par une série ininterrompue de gags bon enfant, un peu lassants à la longue, en dépit du mouvement d'ensemble qui tend à révéler le portrait d'une humanité assez peu honorable. La musique qui accompagne le muet est en outre particulièrement envahissante. Grosso modo, la justice condamne les voleurs de bas étage mais félicite les voleurs capitalistes, et absolument tout le monde se transformerait en voleur face à une certaine somme d'argent, l'appât du gain étant présent en chacun de nous — ou en tous cas en chacun des habitants d'un pays bourgeois, pour rester dans la cible du film. La trajectoire se veut ainsi dénonciatrice de l'hypocrisie des sociétés capitalistes, avec sa conclusion assez abrupte montrant Tapioca dans un rôle semblable à celui de Ornano au début du film (vantant les mérites de la propriété privée).

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Morrinson

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