En 2015, les films d'espionnage sont redevenus à la mode. Code U.N.C.L.E en faisant preuve de sobriété. L'atmosphère de ces films font preuve de légèreté, avec une absence de complexité inhérent au genre. Avec Le Pont des espions, Steven Spielberg replonge dans une des nombreuses périodes sombres de notre histoire, avec la guerre froide et sa paranoïa. Il signe une oeuvre classique, parfois académique, se révélant magistrale sous la caméra de ce réalisateur majeur.
En pleine guerre froide, Rudolf Abel (Mark Rylance) est arrêté par le gouvernement américain et accusé d'être un espion russe. Pour montrer au monde que les états-unis est un pays avec de grandes valeurs morales, on assigne James Donovan (Tom Hanks), un avocat aux assurances, à sa défense. Une amitié va naître entre ses deux hommes de convictions.
L'histoire est inspiré de faits réels. Après Lincoln, Steven Spielberg s'attaque à une autre figure de l'histoire américaine. A la différence, que c'est un "héros" de l'ombre, de ceux qui oeuvre dans les coulisses, loin des projecteurs. Le personnage n'est pas historique, du moins dans les manuels d'histoire français. On va le découvrir sous les traits de Tom Hanks, le James Stewart du 21ème siècle. Un "héros" ordinaire, un monsieur tout le monde, qui va se retrouver, à son corps défendant, dans la grande histoire.
La scène d'ouverture est grandiose. On découvre Mark Rylance entrain de peindre, avant que le téléphone ne sonne. Il sort de son appartement, prend le métro et se retrouve suivi par plusieurs hommes. Il semble jouer avec eux, avant de s'installer et de se remettre à peindre en plein air. Cela se déroule dans la plus grande sobriété, sans musique, ni dialogue, mais avec la caméra imprimant le rythme à cette introduction, mettant bien en place l'enjeu.
Au contraire, Tom Hanks fait son apparition lors d"une joute verbale savoureuse face à un adversaire, dans une affaire d'assurance. Le personnage est défini en peu de temps, comme son futur client. Steven Spielberg joue la carte de la simplicité. Cela permet de rendre le récit plaisant, avec une pointe d'humour intéressante. La relation entre l'avocat et son client, est faite du même bois. Un regard suffit à sentir l'amitié et le respect qui va se nouer entre eux. Le flegme de Mark Rylance est déstabilisante, c'est l'homme le plus détesté des USA, avant que son avocat le soit aussi et pourtant, il ne semble pas en souffrir. Le procès va se révéler être une mascarade. C'est un jeu de manipulation, mais ce n'est que l'introduction, un autre drame se joue en même temps.
Seul contre tous. Tom Hanks va se retrouver aussi haï que son client et découvrir le côté obscur de la belle Amérique. C'est un pion parmi tant d'autres et il va devoir faire preuve d'intelligence, pour se sortir de ce jeu de poker menteur. L'ennemi n'est pas forcément un homme diabolique aux desseins malveillants, ni aux traits durs et effrayants. Comme son avocat, Mark Rylance est un monsieur tout le monde. Il a fait le choix de servir son pays, comme le fait Tom Hanks. C'est cet aspect du film qui est intéressant, en évitant de sombrer dans la caricature, où tout n'est pas aussi simple que l'on veut bien nous faire croire.
Steven Spielberg n'hésite pas à égratigner les USA, sous la houlette des frères Coen au scénario. Ils forment une belle équipe, avec Janusz Kaminski à la photographie. Le film se révèle aussi beau visuellement, que dans la reconstitution historique et les dialogues ciselés. C'est un film à l'ancienne, où les mots remplace les explosions, coups et balles. L'action se joue dans les bureaux, dans les conversations où chacun joue un rôle, en avançant ses pions avec précaution. La diplomatie semble plus efficace que les menaces, même si la peur reste présente. Des vies sont en jeu, mais celle de Tom Hanks l'est tout autant, surtout qu'un rhume peut se transformer en pneumonie.
Tom Hanks est la tête d'affiche. Il se retrouve pour la quatrième fois devant la caméra de Steven Spielberg. Le duo nous a offert de bons films, avec Il faut sauver le soldat Ryan et Band of Brothers. Mais ce qui fait la force de ses œuvres, c'est de ne pas se contenter de son rôle principal, mais de l'entourer d'acteurs moins prestigieux, mais tout aussi talentueux. Mark Rylance en est la remarquable preuve, il vole presque la vedette à son partenaire, en faisant preuve d'une retenue et d'un flegme tout britannique. Il en est de même de Scott Sheperd, Sebastian Koch, Petter McRobbie où encore Mikhail Gorevoy. Chacun joue sa partition à merveille, quelque soit son importance dans les événements.
Le film se révèle ionnant du début à la fin, ne souffrant pas de baisse de rythme. On peut lui reprocher de ne pas vraiment surprendre, de réhabiliter l’Amérique après avoir mis à mal son image d'épinal et de ne pas avoir de rôles féminins intéressants, mais ce serait lui faire un faux procès. C'est un film d'espionnage respectant les règles du genre, en ne cherchant pas à les transgresser, mais à leur rendre hommage, à travers cette histoire ionnante.
Une oeuvre formatée pour les oscars, où le collectif prime sur une performance individuelle, comme ce fût le cas pour son précédent film Lincoln. Ce n'est pas un reproche, les deux films sont réussis mais différents. Steven Spielberg est un cinéaste plus mature, cela se voit dans les sujets qu'il aborde, mais n'oublie pas son âme d'enfant. On peut le voir par moments et cela se révèle aussi touchant, qu'intéressant. On attend son prochain film avec impatience.