évidences sociales

Avec The Go-Between, Losey n’adapte pas un roman, il l’empaquette. Il le cadre, l’ordonne, le dispose, avec révérence, avec minutie, mais sans qu’il n’y ait plus d’air, plus de faille, plus de battement. C’est là tout le paradoxe du film : il prétend raconter l’irruption du trouble dans un monde de convenances, mais il le fait avec une rigueur formelle si implacable qu’on en sort plus engourdi qu’ébranlé.

Leo, l’enfant-messager, n’est pas ici un personnage mais un mécanisme, une figure-pivot entre deux mondes qui ne se toucheront jamais vraiment : celui de la grande maison, avec ses voiles d’été, ses manières trop apprises, ses jardins trop dessinés, et celui du dehors, du désir, du sexe, de la boue. On voudrait que ce soit une tension : ça ne l’est jamais vraiment. Le corps de l’enfant ne vibre pas, il transporte. Il devient sac postal, ant d’une chambre à une étable, d’un sourire à un regard, mais jamais le film ne le laisse exister autrement que comme allégorie.

C’est tout le projet esthétique de Losey, ici : faire du cinéma un théâtre d’ombres, où les corps s’effacent derrière les murs, les costumes, les conventions.

Le scénario de Pinter radicalise cette glaciation. À force de silences, de phrases tronquées, de regards obliques, il construit un monde où rien ne se dit jamais vraiment mais où l’on finit, paradoxalement, par tout comprendre trop vite. L’ellipse y devient une pose, une façon d’ajouter du mystère là où il n’y a, en vérité, que des évidences sociales : Marian n’époa pas Ted, Leo sera broyé, le é restera scellé. Et l’on regarde cette mécanique se déplier avec une forme de résignation polie, comme on feuilletterait un album de souvenirs : joli, précieux, inoffensif.

Il y aurait pourtant eu matière à l’incendie. Le désir, la trahison, l’innocence compromise, la violence des hiérarchies mais tous les éléments sont là, en germe.

Et pourtant, malgré cette réserve ce que le film, en creux, parle de cette impossibilité même de dire, de faire, de ressentir, quand tout est codé, inscrit, dicté. Leo, en tant que messager, devient aussi le spectateur idéal du film : if, médusé, prisonnier d’un monde qui lui refuse tout pouvoir d’agir. Et c’est peut-être là que réside la seule subversion du film : non pas dans ce qu’il montre, mais dans ce qu’il empêche.

5
Écrit par

Créée

il y a 5 jours

Critique lue 1 fois

5 j'aime

cadreum

Écrit par

Critique lue 1 fois

5

D'autres avis sur Le Messager

Le é est un pays étranger

« Le é est un pays étranger... On y fait les choses autrement, là-bas ». Ces paroles prononcées par le héros du film en introduction est un avertissement à ce qui va suivre, à savoir...

Par

le 13 janv. 2022

22 j'aime

21

Atropa belladonna

Quelque part en Angleterre, au début du XXè siècle, Leo (Dominic Guard) arrive dans un immense manoir en pleine campagne. Sur le point de fêter ses 13 ans, il est invité par Marcus, son ami d’école,...

Par

le 2 avr. 2022

17 j'aime

2

Le petit facteur de campagne

J'ai revu avec un grand plaisir ce film, même si à la base je ne suis guère ionné par la vie des aristocrates anglais, mais j'aime bien étudier leurs moeurs et leurs relations avec leur...

Par

le 23 mai 2024

14 j'aime

8

Du même critique

L'obsession et le désir en exil

Luca Guadagnino s’empare de Queer avec la ferveur d’un archéologue fou, creusant dans la prose de Burroughs pour en extraire la matière brute de son roman. Il flotte sur Queer un air de mélancolie...

Par

le 14 févr. 2025

29 j'aime

1

Maria dans les interstices de Callas

Après Jackie et Spencer, Pablo Larrain clôt sa trilogie biographique féminine en explorant l'énigme, Maria Callas.Loin des carcans du biopic académique, Larraín s’affranchit des codes et de la...

Par

le 17 déc. 2024

28 j'aime

3

Traumas des victimes murmurées

Sous la main de Tim Mielants, le silence s'immisce dans chaque plan, une ombre qui plane sur l’âme lugubre de son œuvre. La bande sonore, pesante, s’entrelace à une mise en scène austère, plongeant...

Par

le 20 nov. 2024

25 j'aime

1