Aux vues de la bande-annonce, je dois bien avouer que j’étais sceptique sur cette itération 2025 du Japon féodal. Les enjeux me semblaient peu clairs (ce qui en soit ne me dérange pas pour un film annonce, je hais ces pubs qui ne laissent aucun mystère) et surtout l’image laiteuse me faisait craindre le pire. La sortie sous pavillon Art House, société de distribution spécialisée dans les longs métrages japonais dont je n’apprécie généralement que très modérément les films – distributeur français historique de Kōji Fukada, ils ont récemment sorti Sidonie au Japon, ou en ce début d’année Le Jardin zen – n’était pas pour me rassurer.
Ce Joueur de go est finalement une très belle surprise. Il faut dire que je suis friand des histoires de samouraïs, que ce soit au cinéma ou en mangas. Alors effectivement, comparer ce cru 2025 signé Kazuya Shiraishi avec les maîtres incontestés Akira Kurosawa (Les 7 Samouraïs, Sanjuro, Le Garde du corps) ou Masaki Kobayashi (Harakiri, La Condition de l’homme) semble quelque peu exagéré. Il n’en reste que Le Joueur de go se laisse visionner avec grand plaisir.
Il s’agit de la 16e réalisation de Kazuya Shiraishi, prolifique cinéaste inconnu en Occident (seuls deux autres de ses films ont eu droit à une sortie en , et aucun ne dée les 50 notes sur SC). Le Joueur de go marque son plus gros succès à ce jour.
Le film retrace l’histoire de Yanagida, veuf de son état, ancien samouraï à la droiture légendaire, qui vit modestement avec sa fille Kinu à Edo. Très méticuleux, Yanagida survit grâce à de petits boulots, tels que la confection de sceaux. Mais sa ion va au jeu de go, sorte de jeu d’échec japonais, pour lequel il excelle. Au fil de ses parties, Yanagida trouve en Genbei, riche négociant, un adversaire de choix. Les deux hommes se lient progressivement d’amitié, en même temps que nait un amour entre Kinu et le protégé de Genbei. Mais un jour, une accusation calomnieuse de vol bafoue son honneur. Yanagida se fixe une double mission : venger la mort de sa femme et laver son honneur par le sabre. Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir, mais le scénario est extrêmement bien ficelé, et m’a fait penser aux récits du magaka Kazuo Koike (Lady Snowblood, Lone Wolf & Cub).
Comme toujours dans les films japonais, l’honneur est le principal moteur des péripéties du récit. La fierté et la dignité sont des valeurs primordiales pour les samouraïs (qui suivent le code du Bushido), souvent au point de faire preuve d’orgueil (pouvant les pousser à se faire Harakiri si leur nom est entaché).
Loin des films réputés de combats aux sabres, Le Joueur de go opte pour le dépouillement et l’intime. La première partie joue sur la lenteur, celle inerrante à l’époque (on se déplace à pied), mais aussi celle qu’impose le jeu de go, où tous les coups doivent être calculés avec soin. J’ai trouvé dans cet éloge de la lenteur une forme de ressemblance avec The Assassin du taïwanais Hou Hsiao-Hsien. La deuxième partie en revanche est plus classique : le film s’accélère à mesure que les enjeux s’accumulent sur les épaules de notre rônin, et les sabres sortent de leurs fourreaux dans des danses extrêmement bien chorégraphiées.
Mon seul bémol concerne les choix artistiques de la photographie. Je n’ai pas trouvé l’image très belle. J’évoquais les tons laiteux : à de nombreux moments – notamment dans les plans en contre-jour – la lumière vive du dehors semble déborder de l’image, comme si la couleur de la pellicule avait coulé. Que les flashbacks soient filmés en 16mm, comme pour les vieux films du genre, est un choix cinématographique que je trouve intéressant. Mais les tons pastel du reste du film manquent parfois de peps à mon goût.
Peut-être que le titre du long métrage de Kazuya Shiraishi est une forme d’hommage au Joueur d’échecs de Stefan Zweig. Quoi qu’il en soit, le film est porté par d’excellents acteurs et mêle avec élégance le statique du jeu de go avec le mouvement de l’aventure et de la quête de vengeance.
Le Joueur de go est une petite perle pour les amateurs du genre !