Dans ses premiers films, Luchino Visconti affichait ouvertement son adhésion au néo-réalisme italien et au communisme. En effet, le réalisateur dénonçait dans un style âpre la situation épouvantable vécue par le peuple italien (que ce soit dans Les Amants Diaboliques ou Rocco et ses frères).
Pourtant au fur et à mesure de ses films, Visconti va évoluer en affichant une mise en scène de plus en plus lyrique et surtout, en se concentrant sur une autre classe sociale de la société italienne : la noblesse.
Sorti en 1963, Le Guépard symbolise à lui seul tous ces changements artistiques...
Du livre au film
1958. Giuseppe Tomasi di Lampedusa publie Le Guépard, roman contant l'annexion du royaume des deux Siciles à celui d'Italie telle que vécue par Don Cabreza, prince de Salina. Le succès du livre est immédiat et pousse bien évidemment le cinéma à s'y intéresser. C'est Visconti lui-même qui en réalise l'adaptation.
Il faut dire qu'il a beaucoup d'affinités avec ce roman. Comme le héros le prince de Salina, le réalisateur est aussi un noble et connaît donc parfaitement le monde de l'aristocratie. Mais plus que tout, il apprécie dans cette histoire la réflexion faite autour du changement de pouvoir ant des mains d'une noblesse fatiguée à celles d'une bourgeoisie conquérante.
Ainsi, alors que l'arrivée d'une nouvelle puissance semble augurer un avenir radieux à la Sicile et à sa classe populaire, il n'en n'est finalement rien, la bourgeoisie n'étant pas plus capable que l'aristocratie d'améliorer la condition du pays. Cette situation est illustrée à la fin par le personnage de Calogero Sedara, nouveau député fraîchement élu mais n'ayant aucune envie de bouleverser les choses. Tout doit rester figé.
Ce cruel et amer constat fascine Visconti, lui qui pensait que l'avènement en 1947 de la nouvelle république italienne, survenue juste après la chute de Mussolini, allait changer la situation de son pays. Ce n'était qu'une douce illusion et la population resta dans un état de pauvreté tout aussi grand. Finalement, bien que Le Guépard soit tourné sur le é, cela ne l'empêche pas d'être également un miroir de la société contemporaine...
Au Pays de Proust
à la sortie du film, de nombreuses critiques acteront l'abandon par le réalisateur du style « néo-réalisme » pour une mise en scène précieuse et raffinée, se focalisant sur chaque petit détail. On pense notamment à cette scène de bal dans le palais, qui dure plus de 40 minutes, où Visconti filme sans s'arrêter les us et coutumes de la noblesse, s'attardant sur chaque pli de robe et chaque objet avec un soin délicat. Ce sens du détail permet de recréer la sensation de vivre une époque maintenant révolue. Il y a finalement beaucoup de Proust chez l'italien...