Sous le ciel de Bradford, une amitié foudroyée

Dans Le Géant égoïste, Clio Barnard tisse un récit à la fois brut et bouleversant, qui m’a profondément marqué par sa justesse émotionnelle et sa force visuelle. Si je lui ai attribué un 9/10, c’est parce que ce film dée largement la simple chronique sociale : il devient une tragédie moderne portée par une sincérité rare.


Inspiré librement du conte d’Oscar Wilde, Barnard en détourne le symbolisme pour inscrire son récit dans une Angleterre post-industrielle grise et âpre, où l’innocence de deux adolescents – Arbor et Swifty – se heurte à la brutalité d’un monde qui les broie. L’histoire, ancrée dans le réalisme social britannique, aurait pu basculer dans le misérabilisme, mais elle l'évite avec une élégance remarquable. La réalisatrice ne cherche jamais à manipuler l’émotion : elle la laisse naître naturellement, dans le silence d’un regard, le fracas d’un camion, ou la tension d’une scène de ferraillage.


La caméra de Barnard est proche, presque intrusive. Elle suit Arbor avec une énergie fébrile, capturant sa colère, sa tendresse et sa dérive sans jamais le juger. Cette proximité donne au film une intensité presque documentaire, qui n’est jamais gratuite mais profondément signifiante. On ressent dans chaque plan la volonté de faire du réel un espace poétique, sans rien édulcorer de sa violence.


La narration est d’une simplicité apparente, mais chaque scène creuse davantage la relation entre les deux garçons. Swifty, doux et effacé, est le contrepoint parfait d’Arbor, impulsif et survolté. Leur lien, à la fois tendre et fragile, devient le cœur émotionnel du film. Et c’est cette relation qui donne tout son poids à la tragédie finale, véritable uppercut narratif qui ne verse jamais dans le pathos.


Ce qui m’a le plus touché, c’est l’humanité du regard de Barnard. Tous les personnages, même les plus durs, sont montrés avec une complexité rare. Il n’y a ni héros ni monstres, juste des êtres cabossés par la vie, qui tentent tant bien que mal de survivre. C’est cette humanité-là, sans artifices, qui m’a bouleversé et qui donne au film toute sa profondeur.


Le Géant égoïste est un film que je recommande sans hésiter. Non parce qu’il est "plaisant" au sens classique du terme, mais parce qu’il est nécessaire. Il nous confronte à des réalités sociales souvent ignorées, tout en offrant une réflexion subtile sur l’exclusion, la loyauté, et la perte. C’est une œuvre exigeante, certes, mais profondément généreuse.

9
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le 30 avr. 2025

CriticMaster

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