C'est une proposition singulière mais complète, très mature, que nous fait Laszlo Nemes, une pierre de plus à l'édifice de films s'étant essayés à traiter de la Shoah avec « le bon regard », « la bonne distance »... On comprend d'emblée les caractéristiques du dispositif : une focale extrêmement rapprochée qui floute l'arrière-plan aux yeux du spectateur ; une caméra portée, à hauteur d'homme, tremblante parfois ; tout tentant d'adopter le point de vue subjectif de Saul. Auschwitz est évoqué seulement, dans les hors-champs, les ombres des flammes, les rituels du camp devenus la routine des personnages dans laquelle on entre d'emblée... Evocation dont l'on sait la puissance et qui aurait pu se suffire à elle-même. Mais le « visuellement choquant » réapparaît par la porte de la bande-son : omniprésente, violente, elle nous donne l'impression qu'il y aurait besoin de compenser l'absence d'image nette, de l'arrière-plan d'Auschwitz par un fond sonore explicite...
Or, une fois qu'on en a compris les ficelles, un peu grosses parfois, le dispositif lasse. C'est un exercice de style, dont l'intrigue à hauteur d'homme ne parvient pas à nous entraîner, tant l'on sent le destin inéluctable qui attend les zonderkommando. L'espoir n'est pas autorisé, on ne s'y laisse plus prendre, la fatalité tragique domine dès l'ouverture. Les intrigues secondaires, liées à la célèbre unique photo prise depuis l'intérieur des camps, et à une tentative d'évasion ratée, démultiplient le propos, voire le diluent, de manière inutilement rocambolesque, apportant une temporalité « aventureuse » probablement absente de la vie de ces hommes, en réalité. Même l'accélération finale, dûe au couperet de la « liste » qui attend les zonderkommando, prend trop explicitement une tournure de « fil narratif ». Le rythme, les aspirations individuelles des personnages, semblent parfois en incohérence avec le poids de la routine, le poids de l'organisation industrielle du camp, pesant sur les personnages et que le film essaye d'évoquer.
Si certains décrivent Le fils de Saul comme « le » film nécessaire sur Auschwitz, on pourrait plutôt penser qu'il s'agit d'une étude de plus, dont la forme gagne nécessairement en liberté, et en recul, du fait de la distance historique entre les événements et le jeune réalisateur, qui appartient à la troisième génération des descendants de témoins d'Auschwitz.