Pneus usés, pneus crevés.

Ça y est. On y est.

C'est trop pour moi. Je n'en peux plus.


C'était pourtant annoncé. Évident. On fonçait droit vers ça.

À force de produire ses films avec une cadence digne de l'industrie du porno, Quentin Dupieux a fini par mener son cinéma sur les chemins de la mécanisation et de la standardisation à outrance, selon ses propres standards, on s'entend.

Pour moi qui ai tout vu de lui à l'exception de son premier Nonfilm, je suis désormais en état de tout anticiper, tout voir à des kilomètres, tout vivre comme un étrange sentiment perpétuel de déjà-vu.

Ce qui doit surprendre ne surprend plus. « Ah bah ça alors ! Les personnages brisent le quatrième mur ! La frontière entre la fiction et la fiction dans la fiction est sans cesse bousculée ! Que c'est inattendu ! » ...Sauf que non. Rubber, Réalité, Au poste... Ces ficelles ont déjà été utilisées une à plusieurs fois.

Tout à des allures de récitation perpétuelle, voire de multivers avengero-dupieusien.


« Ah tiens ! Mais c'est Yannick à côté de Louis Garrel ! Ah non, pardon, suis-je bête ! C'est juste le même acteur... » Oui enfin c'est tout de même le mec acteur qui sollicite le même jeu et le même genre de réplique. Mêmes répliques insérées dans un dispositif narratif lui aussi similaire à pas mal d'autres œuvres de l'auteur, pour retrouver les mêmes questionnements nombrilistes sur la nature de l'auteur, de l'art, du cinéma, le tout bien baigné dans sa sempiternelle quête de légitimité...


Je n'y crois plus. Ou pour être plus exact je n'arrive plus à me laisser berner.

Je ne vois ni intrigue, ni expérimentation, ni piège malicieux. Je vois juste les artifices habituels, les mimiques d'usage auxquelles se livrent l'énième brochette d'acteurs bankables censés légitimer un auteur qui, en retour, devient la nouvelle attraction d'un gratin en quête d'une marque d'audace qui désormais n'est plus.


Dupieux est en mode automatique. Pire, en mode facile. Du format direct et brut, il sombre progressivement dans le format léger et dilué qui peine à déer l'heure.

Dès le premier échange, il rallonge la sauce exagérément. Il fait cabotiner. Il joue la montre. Et rebelote dès l'échange suivant.

Copier-coller. Décalage qui ne décale plus rien tant il est mécanique et systématique. Et je te boucle tout ça avec une construction en miroir histoire de faire le truc pensé, réfléchi, trop fort... Sauf que ça ne trompe plus personne. Du moins, ça ne me trompe plus moi.

Qu'un jour Dupieux abandonne sa photographie laiteuse, ses pantalons et vestons couleur taupe et qu'il se risque pour une fois à faire un film qui ne donne pas l'impression d'être un perpétuel pied de nez inabouti et là il me surprendra.

Ici, dans ce Deuxième acte, on est juste dans de la ressucée d'acquis qui ont déjà été resucés lors d'un film précédent.

Ce n'est plus du recyclage là, c'est juste de la photocopie.

Pire, de l'autocaricature.


En vrai, ça me fait vraiment mal de dire ça. Mais sincèrement.

J'aime Dupieux. Et quoi qu'il fasse par la suite, je continuerai de le considérer comme un auteur majeur.

C'est peut-être d'ailleurs cet amour qui me rend un peu vache. On châtie bien ceux qu'on aime un peu trop. Parce que bon – je ne dis pas – c'est vrai qu'il y a bien de tout ça quelques petits moments qui m'ont fait rire ou sourire, ça je le concède. Cependant, ces petits moments ont tellement été noyés dans un marasme d'artifices usés jusqu'à en trouer la gomme, que, je ne peux que constater mon amertume.


Alors après – je ne dis pas non plus – peut-être que dans son effervescence du moment, le bon Quentin nous gratifiera encore de quelques films bien sentis ou de jolis moments de bravoure, et j'espère que mon exaspération de plus en plus affirmée à son égard ne m'empêchera pas d'en profiter.

Seulement voilà, la machine semble tellement lancée vers une production industrielle sur des décennies que je ne peux que craindre un égarement à la Blier ; où l'irrévérence et le contre-pied ont fini à la longue par se transformer en gimmicks usants parce qu'usés.


Putain ça me gave. C'était pourtant écrit. Mais que voulez-vous.

Ça fait toujours mal de voir un auteur être écorné, surtout quand son bourreau n'est autre que lui-même.

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le 12 juin 2024

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lhomme-grenouille

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