Le troisième film d’Orson Welles est, de son propre aveu, un exercice dans ses relations complexes avec les studios : il s’agit d’honorer un contrat et de prouver qu’il peut se comporter en bon soldat, tourner dans les temps et ne pas déborder du cadre.
Si Welles n’en assume pas la paternité (le film était à l’origine prévu pour John Huston, il n’a pas eu droit à la réécriture et toutes les parties tournées en Amérique du Sud furent supprimées par la RKO), il faut tout de même tempérer la condamnation unilatérale qu’il fait de son œuvre.
Certes, au regard des œuvres précédentes, Le Criminel a tout du travail bien sage et linéaire. Les audaces semblent surtout être celles de expressionnisme généralisé, occasionnant un jeu qui n’est pas toujours très heureux, et des comportements parfois à la lisière du crédible.
La veine est très hitchcockienne, et c’est peut-être parce qu’il n’est pas totalement sur ses terres que Welles se sent mal à l’aise ; il n’en demeure pas moins qu’un certains nombre de réussites permettent à l’œuvre de se distinguer. Tout d’abord par son sujet, qui dès la fin 1945, aborde la fuite des nazis à l’étranger et leur traque internationale, donnant l’occasion à Welles de projeter des extraits de documentaires sur les camps de concentration ( le fameux Death Mills de Billy Wilder) et de prolonger tout son engagement patriotique durant les années précédentes.
C’est aussi une belle exploration d’un espace, une obsession qu’on retrouvera dans toutes l’œuvre du cinéaste. Ici, la petite ville dans laquelle s’est intégré l’ancien nazi (Welles, toujours prêt à jouer le salopard de service, et à se faire mourir à la fin du film…) se résume à quelques rues, un clocher (l’obsession du personnage, le mécanisme de l’horloge nécessitant une maintenance constante) et un droguiste, sorte de coryphée aussi omniscient qu’inquiétant.
On pense bien entendu à Soupçons pour la dimension conjugale, ou Cinquième colonne pour celle de l’espionnage alliée aux séquences vertigineuses finales. Effectivement, le thriller l’emporte un peu sur un fond qu’on sait si puissant d’habitude chez Welles, mais il ne bâcle pas pour autant sa mise en scène : les jeux de regards lors des parties d’échec, la prévision minutieuse avec laquelle le mari prévoit d’assassiner sa femme, cette maitrise illusoire de l’espace et de du temps conduit à l’élaboration d’un joli piège graphique, exacerbé par cette interminable échelle conduisant au clocher.
Même si le film e inaperçu, Welles a gagné son pari : on lui lâche la bride pour son prochain film, dans lequel il va pouvoir réactiver sa créativité : ce sera La Dame de Shanghai.
(6.5/10)
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