Avec Lady Bird, Greta Gerwig signe un premier où la modestie apparente du teen movie sert de tremplin à la réflexion. Sous ses dehors légers, Lady Bird est une œuvre traversée par des tensions profondes : entre territoire et projection, classe et langage, fuite et enracinement.
Lady Bird, c’est d’abord un nom, une revendication. Une manière d’arracher à l’ordre familial et social une parcelle d’autonomie, de fiction. En refusant son prénom, Christine, l’héroïne se fabrique une altérité, une posture, un espace d’invention. Mais Gerwig ne cède jamais à la tentation du portrait héroïque. Elle filme sa protagoniste dans ses angles morts : contradictions, maladresses, rêves trop grands, désirs flous.
Ce féminisme-là n’est ni démonstratif ni théorique. Il est quotidien, conflictuel, intime. Il naît des détails : un essayage dans une friperie, une dispute sur une jupe trop courte, un regard échangé avec une amie qu’on trahit sans vraiment comprendre pourquoi.
Le véritable antagoniste du film n’est pas un amant décevant ou une société contraignante : c’est la mère. Ou plutôt, ce qu’elle incarne : l’effort, la retenue, la résignation. Marion n’est pas abusive, ni cruelle. Elle est simplement opaque, inflexible, incapable de verbaliser l’amour autrement que par la discipline. Elle attend de sa fille une reconnaissance que celle-ci n’est pas encore prête à offrir. Et pourtant, tout dans le film converge vers ce lien-là, inextricable, irrésolu.
Gerwig filme cette relation sans jugement. Et lorsque l’une dépose l’autre à l’aéroport, puis fait demi-tour en larmes, le film touche à une vérité bouleversante : l’émancipation ne se fait jamais sans blessure partagée.
Sacramento n’est pas qu’un cadre. C’est une injonction à rester, à ne pas rêver plus loin. La ville est montrée comme un espace de compromis, de rétrécissement, de résignation. Lady Bird veut en partir non pas tant pour devenir artiste que pour échapper à ce que la ville dit d’elle : sa classe sociale, ses origines, son horizon supposé.
Mais là encore, Gerwig évite la caricature. Elle montre que la fuite n’est jamais pure, qu’elle emporte avec elle, tout. La ville détestée devient mémoire : dans un mouvement bouleversant, Lady Bird se met à aimer Sacramento au moment même où elle la quitte, comme si la distance seule permettait de voir.
À New York, Lady Bird redevient Christine. Ce geste, se nommer à nouveau , n’est pas un renoncement, mais une synthèse. Christine découvre qu’on ne devient pas soi-même contre ses origines, mais en les transformant doucement, en les regardant autrement.
Le film s’achève sans résolution. L’héroïne n’a pas « réussi », elle n’a pas « trouvé sa voie ». Elle a seulement commencé à comprendre que grandir, ce n’est pas rompre, mais reconfigurer. C’est accepter que l’on est toujours un peu d’où l’on vient, même lorsqu’on cherche à fuir.