Ce film représente le quotidien de la famille de Rudolf Höss, un officier nazi, dans leur magnifique demeure attenant le camp d'Auschwitz. Le parti-pris est d'évoquer les horreurs de l'Histoire par la symbolique, la Zone d'intérêt est toujours hors champ, derrière les murs. Ainsi, ce qui est le plus frappant n'est pas l'horreur, comme dans la plupart des œuvres traitant du sujet, mais l'absurdité de la situation. La fumée des crématoriums s'élevant derrière un jardin tapissé de fleurs crée des plans qui semblent surnaturels. Les rires, les discussions de vacances nous sont inables à entendre avec la connaissance que nous avons du drame qui se joue à quelques centaines de mètres. Notre inconfort vient du fait que les membres de cette famille sont représentés dans leur humanité. Pas en tant que qualité morale, évidemment, mais en tant qu'êtres humains comme vous et moi, et pas seulement comme bourreaux. Au-delà de leur soumission à l'idéologie nazie vue comme le mal radical, on assiste à leur intimité, avec la plupart des plans qui se déroulent à l'intérieur de la maison. Ce n'est pas centré sur un personnage en particulier, ni sur un certain événement, ce qui donne une dimension très impersonnelle et objective.
Ce film évoque deux mondes à part avec une dualité sans équivoque : d'un côté une famille bourgeoise et un cadre idyllique à l'image, de l'autre des plans en noir et blanc quand une jeune fille s'aventure de l'autre côté pour cacher des pommes, et le son : des bruits assourdissants, une musique macabre (dont celle qui ouvre le film). Malgré cette séparation, les camps sont une ombre vouée à s'étendre au-delà des murs. Des fragments viennent s'y s'engouffrer chez la famille par bribes : les dents, les vêtements, les cris des prisonniers, les os dans la rivière, les cendres dans le jardin. L'impact psychologique sur la famille Höss est très implicite : la grand-mère qui part sans prévenir, la fille qui regarde les cheminées par la fenêtre la nuit, et finalement Rudolf lui-même est pris de nausée après avoir manifesté une obsession glaçante pour les plans d'extermination.
C'est ainsi qu'est dépeinte à l'écran la banalité du mal, de telle sorte que la dimension émotionnelle est presque totalement occultée. Mais ce manque d'émotion de la part du spectateur, s'il a lieu, ne serait-il pas une preuve supplémentaire que tant qu'on ne voit pas quelque chose, on ne peut pas vraiment être touché ? Comme ces murs, combien de barrières nous permettent ainsi de vivre confortablement dans le déni des horreurs du monde ?