Le roman de Simenon "la tête d'un homme" est une des enquêtes les plus noires du commissaire Maigret. D'abord, parce que Maigret se trouve face au doute alors que les certitudes abondent. Parce qu'il se sent coupable, lui, d'envoyer à la guillotine quelqu'un, qu'à l'évidence tout accable.
Duvivier va s'écarter de la construction du roman. En effet, dans ce dernier, le lecteur reste en dehors de la réflexion du commissaire qui joue sa carrière et qui est bien incapable d'expliquer sa démarche. Pensez donc, orchestrer l'évasion d'un condamné à mort ! Dans le film, Duvivier a choisi l'ordre chronologique de l'histoire et associe le lecteur au déroulement de l'enquête. Alors que dans le roman, c'est l'opération de la dernière chance avant la guillotine, le film n'est que sur le chemin de la guillotine comme le montre la scène d'introduction. Ce n'est pas étonnant que Simenon fut mécontent de l'adaptation de son roman.
Mais le détricotage du roman par Duvivier présente aussi quelques avantages. On assiste à un travail minutieux d'évolution de la psychologie du criminel incarné par Valéry Inkijinoff face au commissaire incarné par Harry Baur. Bien entendu, dans cette façon de faire du cinéaste, on profite beaucoup plus de cet acteur d'origine russe qui devient l'incarnation du Mal du fait d'une profonde frustration. Alors qu'il se considère supérieurement intelligent, il est gravement malade et quittera cette Terre sans éclat, dans l'oubli. Il y a du Raskolnikov dans cet homme !
Harry Baur donne une version placide et presqu'effacée du célèbre commissaire que je ne déteste pas même si je préfère les prestations ultérieures de Gabin et même de Bruno Cremer. La moindre personnalité de Harry Baur, son apparente indécision dans ce film, renforcent du coup la noirceur du film et de la plupart des personnages. Et ce n'est pas la complainte chantée par Damia sur des paroles très pessimistes écrites par Duvivier ni la photographie hivernale qui vont arranger l'atmosphère lugubre du film.
En somme, Julien Duvivier s'est écarté de la vision de Simenon, plus ponctuelle, plus resserrée dans le temps, plus intemporelle pour mieux placer et dérouler cette enquête dans un contexte difficile et sombre des années 30.